Le peuplement de l'Amérique s'est fait depuis la Sibérie


Les progrès de la génétique auront une fois de plus permis d'enterrer la hache de guerre dans un débat historique houleux: le peuplement de l'Amérique s'est bien fait depuis la Sibérie par des populations venues d'Asie, mais en trois vagues successives et non pas une seule.
Ce modèle de peuplement avait été proposé dès 1986 par des linguistes mais n'avait pas convaincu à l'époque la communauté des chercheurs. Publiée mercredi par la revue britannique Nature, une étude retraçant l'histoire du patrimoine génétique des populations amérindiennes, menée par un consortium international de plus de soixante scientifiques, démontre qu'ils avaient raison, du moins en partie.

En analysant les génomes de 500 personnes provenant de 52 populations amérindiennes et 17 sibériennes, passés dans une puissante moulinette informatique, les chercheurs ont pu obtenir une vue d'ensemble de leur patrimoine génétique, explique le CNRS dans un communiqué. La comparaison de plus de 364.000 marqueurs a notamment "permis d'établir le degré de différence ou de ressemblance génétique de ces populations", tout en prenant en compte, pour la première fois, les traces génétiques laissées par le métissage africain et européen depuis l'arrivée de Christophe Colomb en 1492.

Selon le CNRS, qui a contribué à cette étude, "les analyses confirment que la majorité des populations amérindiennes, des Algonquins du Québec aux Yaghans de Terre de Feu, en passant par les Mayas-Kaqchiquel du Guatemala", sont issues d'une vague de migration provenant de Sibérie il y a environ 15.000 ans, lors d'un épisode de glaciation qui rendait à l'époque le détroit de Bering facilement franchissable.

Les résultats mettent aussi en évidence une plus grande diversité génétique parmi les individus du nord de l'Amérique, tandis que les populations les plus homogènes génétiquement sont celles de l'Amérique du Sud, ce qui confirme "l'axe Nord-Sud de peuplement du continent". L'étude démontre surtout l'existence de deux autres vagues de peuplement asiatique, survenues ultérieurement (voici 15.000 à 5.000 ans), ce qui confirme le modèle suggéré en 1986 par Greenberg, Turner et Zegura, souligne le CNRS. Ces deux vagues "sont toutefois restées cantonnées à l'Alaska, au Canada et au nord des Etats-Unis".

Et contrairement à ce qu'affirmait ce modèle de 1986, les nouveaux arrivants se sont bien mélangés aux populations qui étaient déjà présentes dans ces régions, formant les peuples Eskimo-Aléoutes et Chipewyans. Quelle que soit la période concernée, la génétique montre que les populations ont colonisé le continent vers le sud, en suivant les côtes et en se séparant en cours de route. Après cette séparation, les échanges génétiques entre les différents groupes sont restés très réduits, particulièrement en Amérique du Sud.

Deux exceptions notables à cette tendance: les indiens de langue Chibchan du Panama ont des ancêtres issus à la fois d'Amérique du Nord et d'Amérique du Sud. Ils seraient en fait issus du métissage de groupes descendant du Mexique en ayant croisé d'autres remontant depuis le Vénézuela et la Colombie. Autre exemple de "rétro-migration", les Naukan et Chukchi, côtiers du nord-est de la Sibérie, sont porteurs d'ADN amérindien, preuve que certains groupes Eskimo-Aléoutes ont fait demi-tour vers l'Asie à un moment ou un autre.