Spécial Halloween : la première histoire d'horreur de tout les temps

La Divine Comédie

La référence pour ce qui attrait à l'enfer 
Fichier:Inferno.jpg
La Comédie ou La Divine Comédie (en italien Commedia /komˈmɛdja/ ou Divina Commedia /diˈvina komˈmɛdja/ : l'adjectif Divina (Divine) attribué par Boccace, se retrouve seulement à partir de l'édition imprimée en 1555 par Ludovico Dolce), est un poème de Dante Alighieri écrit en tercets enchaînés d'hendécasyllabes en langue vulgaire florentine. Composée, selon la critique, entre 1307 et 13211, la Commedia est l'œuvre de Dante la plus célèbre et l'un des plus importants témoignages de la civilisation médiévale. Connue et étudiée dans le monde entier, elle est tenue pour l'un des chefs-d'œuvre de la littérature mondiale de tous les temps2

Géographie 


Dans la Divine Comédie, la Terre est fixe au centre de l'Univers. Autour d'elle tournent les neuf cieux :

  • Les sept cieux des planètes.
  • Le ciel des étoiles fixes.
  • Le premier mobile (ou ciel cristallin).
  • Les cinq premiers cercles à l'extérieur de la cité de Dité.
  • Les quatre derniers cercles à l'intérieur de la même cité.
  • Le rivage de l'île.
  • L'Antépurgatoire.
  • Les sept terrasses.






L'Enfer


Au-delà, se trouve l'Empyrée.
Le Diable est au centre de la Terre. Sa chute a creusé une cavité conique dont l'axe passe par Jérusalem ; c'est l'Enfer, compartimenté en neuf cercles :
Un chemin caché mène de la demeure du Diable à une île, 

Le récit de l' Enfer, la première des trois parties, s'ouvre avec un chant introductif (qui sert de préambule à l'ensemble du poème) dans lequel le poète Dante Alighieri raconte à la première personne son égarement spirituel : il se représente « dans une forêt obscure »allégorie du péché, dans laquelle il se retrouve parce qu'il a perdu « la route droite », celle de la vertu (il faut se souvenir que Dante se sent coupable, plus que quiconque, du péché de luxure lequel est toujours présenté, dans l'Enfer et le Purgatoire, comme le moins lourd des péchés). Cherchant à en trouver l'issue, le poète aperçoit une colline illuminée par la lumière du soleil ; tentant d'en sortir pour avoir une perspective plus large, son avance est entravée par trois bêtes féroces : une lonce (lynx), allégorie de la luxure, un lion, symbole de l'orgueil et une louve représentant l'avarice, les trois vices à la base de tous les maux. La frayeur que lui inspire la louve est telle que Dante tombe en arrière le long de la pente.
Fichier:Gustave Dore Inferno1.jpgEn se relevant il aperçoit l'âme du grand poète Virgile auquel il demande de l'aide. Virgile lui révèle que pour arriver au sommet de la colline et éviter les trois bêtes féroces, il faut prendre une route différente, plus longue et plus pénible, à travers le bien et le mal, et prophétise que la louve sera tuée par un mystérieux vautre8,9. Le poète se présente comme l'envoyé de Béatrice, la jeune femme (morte à seulement vingt-quatre ans) aimée par Dante, qui avait intercédé auprès de Dieu afin que le poète fût libéré de ses péchés. Virgile et Béatrice sont ici les allégories de la raison et de la théologie : le premier en tant que poète le plus sage de l'antiquité classique, la seconde parce qu'elle est un moyen d'accès vers le créateur (scala al fattore), selon la vision élaborée par Dante dans la Vita Nuova.

Depuis la colline de Jérusalem sur laquelle se trouve la forêt, Virgile conduira Dante à travers l'enfer et le purgatoire parce qu'à travers ce voyage, son âme pourra se relever du mal dans lequel elle était tombée. Puis Béatrice prendra la place de Virgile pour guider Dante au paradis. Virgile, dans le récit allégorique, représente la raison, mais la raison ne suffit pas pour arriver à Dieu ; la foi est nécessaire et Béatrice représente cette vertu. Virgile en outre n'a pas connu leChrist, il n'est donc pas baptisé et il ne lui est de ce fait pas permis de s'approcher du royaume du Tout-Puissant.


Virgile, mandé par Béatrice, qui vient chercher le poète, va le mener par l’Enfer, seule sortie de cette forêt. Dante et Virgile vont alors descendre à travers neuf cercles concentriques dans chacun desquels sont logés, par ordre de vice, les occupants de l’Enfer. Ici se succèdent des personnages célèbres, comme Virgile ou Ulysse, et des personnages côtoyés par Dante et envoyés en Enfer en châtiment de leurs péchés. Leurs supplices sont décrits, par ordre croissant à mesure que l’on descend vers le fond de l’Enfer, qui est aussi le centre de la Terre. Cette partie du voyage se termine par la rencontre avec Lucifer, sur lequel Dante et Virgile sont forcés de grimper pour sortir de l’Enfer, « et revoir les étoiles ». Dans la géographie dantesque l'enfer se présente comme un abîme en forme d'entonnoir. Lucifer l'a creusé dans sa chute sous la ville de Jérusalem, c'est pourquoi il se trouve vissé au centre de la Terre. Les âmesdes damnés sont envoyées selon leurs péchés dans l'un des neuf cercles infernaux. Plus leur faute est grave, plus ils tombent bas et plus leur châtiment est pénible. Les châtiments attribués sont en rapport (par analogie ou par contraste) avec le péché commis selon la loi du contrapasso.
Le véritable voyage à travers l'Enfer commence au Chant III (dans les précédents Dante exprime auprès de Virgile ses doutes et ses craintes au sujet du voyage qu'ils vont accomplir). Dante et Virgile se trouvent sous la ville deJérusalem, devant la grande porte sur laquelle sont gravés les célèbres vers qui ouvrent ce chant. Le dernier : « Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate » (« Laissez toute espérance, vous qui entrez »), inspire de nouveaux doutes et de nouvelles peurs à Dante, mais son maître, guide et ami lui sourit et le prend par la main car ils doivent désormais avancer. Dans ce lieu hors du temps et privé de lumière, l'Ante-enfer, errent pour toujours les indolents, ceux qui, dans la vie, n'ont pas voulu prendre position et sont maintenant considérés comme indignes aussi bien de récompense (Paradis) que de châtiment (Enfer) ; un peu plus avant, sur la rive de l'Acheron (premier fleuve infernal), se tiennent provisoirement les âmes qui doivent rejoindre l'autre rive, attendant que Caron, le premier gardien de l'Enfer, les pousse dans sa barque et les fasse traverser.
L'enfer dantesque est imaginé comme une série d'anneaux numérotés, toujours plus étroits au fur et à mesure de leur succession dans la série, l'ensemble formant un cône renversé ; l'extrémité la plus étroite correspond au centre de la Terre et est entièrement occupée par Lucifer qui, mouvant ses immenses ailes, produit un vent glacial : la glace est la peine maximale. Dans cet Enfer, à chaque péché correspond un cercle et chaque cercle est plus profond que le précédent et plus proche de Lucifer ; plus lourd est le péché, plus grand sera le numéro du cercle auquel il renvoie.

Au-delà de l'Acheron se trouve le premier cercle, les limbes. Ici se trouvent les âmes pures qui ont vécu dans le bien mais n'ont pas reçu le baptême ; sont aussi ici - dans un lieu à part dominé par un « nobile castello » (un noble château) - les anciens « spiriti magni » (les plus grands esprits, dont fait partie Virgile lui-même), ceux qui accomplirent de grandes œuvres pour le plus grand bénéfice du genre humain. Après les limbes, Dante et son maître pénètrent dans l'Enfer proprement dit. À l'entrée se tient Minos, le second gardien de l'Enfer qui, en juge équitable, indique dans quel cercle infernal chaque âme devra expier sa peine. Passé Minos, Dante et Virgile se retrouvent dans le second cercle, ou sont punis les luxurieux : parmi eux se trouvent les âmes de SémiramisCléopâtre et Hélène de Troie. Les vers du cinquième chant qui racontent l'histoire de la passion amoureuse de Paolo e Francesca10 sont restés particulièrement célèbres. Aux luxurieux, accablés par le vent, succèdent dans le troisième cercle les gourmands ; ceux-ci sont immergés dans une fange puante, sous une pluie sans trêve, mordus et griffés par Cerbère, troisième gardien de l'Enfer ; dans le quatrième cercle se trouvent ensuite les avares et les prodigues, divisés en deux groupes destinées à s'affronter éternellement en roulant des tas de pierres tout autour du cercle.
Dante et Virgile rejoignent ensuite le cinquième cercle, devant le Styx, dans les eaux boueuses duquel sont punis les coléreux et les indifférents. Les deux poètes sont transportés sur la rive opposée par la barque de Phlégias, quatrième gardien de l'Enfer. Là se dresse la ville de Dité (sixième cercle), dans laquelle sont punis les pécheurs conscients de leur péché. Devant la porte fermée de la ville, les deux amis sont bloqués par les démons et les Érinyes ; ils n'entreront que grâce à l'intervention de l'archange Michel et verront alors comme sont châtiés ceux « che l'anima col corpo morta fanno » (« qui font mourir l'âme avec le corps »), c'est-à-dire les épicuriens et les hérétiques parmi lesquels ils rencontrent Farinata degli Uberti, l'un des personnages de l'Enfer dantesque les plus fameux.
Au-delà de la ville, le poète et son guide descendent vers le septième cercle le long d'un ravin escarpé (l'« alta ripa »), au fond duquel se trouve le troisième fleuve infernal, le Phlégéthon, un fleuve de sang en ébullition. Ce fleuve constitue le premier des trois « girons » qui divisent le septième cercle ; y sont punis les violents parmi lesquels le Minotaure tué par Thésée avec l'aide d'Ariane. Sur l'autre rive du fleuve se trouve le second giron que Dante et Virgile rejoignent grâce à l'aide du centaure Nessos ; ici se tiennent les violents contre eux-mêmes, les suicidés transformés en arbustes secs, éternellement déchirés par les Harpies ; parmi eux se trouve Pier della Vigna) ; dans le second giron également sont les gaspilleurs, poursuivis et dévorés par des chiennes. Le troisième et dernier giron, est une lande brûlante où séjournent les violents contre Dieu, la nature et l'art mais aussi les blasphémateurs, les sodomites (parmi lesquels Brunetto Latini) et les usuriers. Dante consacrera un nombre important de vers, du Chant XIV au Chant XVII.

Après le septième cercle, Dante et Virgile descendent par un burrato (ravin) sur le dos de Géryon, le monstre infernal au visage humain, aux pattes de lion, au corps de serpent et à la queue de scorpion. Ils rejoignent ainsi le huitième cercle appelé Malebolge, où sont punis les fraudeurs. Le huitième cercle est divisé en dix bolge (bolges11) ; chaque bolge est un fossé circulaire. Les cercles sont concentriques, creusés dans la roche et descendant en terrasses vers le bas. À leur base s'ouvre le « Pozzo dei Giganti » (le « puits des Géants ». Dans les boges sont punis les ruffians et séducteurs, adulateurs et flatteurs, fraudeurs et simoniaques, devins et ensorceleurs, concussionnaires, hypocrites, voleurs, conseillers fourbes - parmi lesquels Ulysse et Diomède. Ulysse raconte aux deux voyageurs son dernier périple ; Dante, qui ne connaissait pas la prédiction de Tirésias sur la mort d'Ulysse en invente la fin dans un gouffre maritime au-delà des colonnes d'Hercule, symbole pour Dante de la raison et des limites du monde. Se rencontrent encore les semeurs de scandale et de schisme et les faussaires - dont, dans la dixième boge, le « folletto » Gianni Schicchi ; enfin, les deux poètes accèdent au neuvième et dernier cercle, où sont punis les traîtres.
Fichier:Inferno Canto 1 leopard.jpgCe cercle est divisé en quatre « zone », couvertes par les eaux gelées du Cocyte ; dans la première, appelée « Caina » (de Caïn qui tua son frère Abel), sont punis les traîtres à la parenté ; dans la seconde, « Antenora » (d'Anténor, qui livra le palladium de Troie aux ennemis grecs), se tiennent les traîtres à la patrie ; dans la troisième, la « Tolomea » (du roi Ptolémée XIII, qui, au temps de César tua son hôte Pompée), se trouvent les traîtres à leurs hôtes, et enfin, dans la quatrième, « Giudecca » (de Judas, qui trahit Jésus), sont punis les traîtres à leurs bienfaiteurs. Dans l'Antenora, Dante rencontre le Comte Ugolin qui raconte son enfermement dans la « Torre della Muda » avec ses fils et leur mort de faim. Enfermement et mort ordonnés par l'archevêque Ruggieri. Ugolin apparaît dans l'Enfer autant comme un damné que comme un démon vengeur rongeant éternellement la tête de son bourreau. Dans la dernière zone se trouvent les trois grands traîtres : CassiusBrutus et Judas ; leur peine consiste à être broyés par les trois bouches de Lucifer qui demeure en ces lieux.
Descendant le long de son corps velu, Dante et Virgile atteignent une grotte où ils trouvent quelque escalier. Dante est étonné de ne plus voir le dos de Lucifer et Virgile lui explique qu'ils se trouvent dans l'hémisphère austral. Quittant la« natural burella », ils prennent enfin le chemin qui les conduira à la plage du Purgatoire, à la base de laquelle ils sortiront bientôt « a riveder le stelle ».

  • Ainsi débute la Commedia de Dante :

    Au milieu du chemin de notre vie
    je me retrouvai dans une forêt obscure,
    dont la route droite était perdue.


    Antichambre de l’Enfer
    Dante est plongé dans l'incertitude, il ne sait s'il doit continuer son chemin avec Virgile ; ce dernier le rassure en lui disant que c'est Béatrice elle-même qui lui a demandé de venir sortir Dante de son trépas (c.f. Chant I). Dante, galvanisé, plonge, avec son guide, aux Enfers.



    Porte et vestibule de l'Enfer
    Au début de ce chant c'est la porte de l'enfer elle-même qui semble prendre la parole et dit (la dernière phrase étant la plus connue) :
    Par moi on va vers la cité dolente ;
    Par moi on va vers l'éternelle souffrance ;
    Par moi on va chez les âmes errantes.
    La Justice inspira mon noble créateur.
    Je suis l'œuvre de la Puissance Divine,
    de la Sagesse Suprême et de l'Amour.
    Avant moi, rien ne fut créé
    sinon d'éternel. Et moi, je dure éternellement.
    Vous qui entrez, abandonnez toute espérance.
Virgile doit alors rassurer Dante afin qu'il passe le seuil du premier royaume.
Vestibule : les indifférents (ou neutres) et les lâches. Damné : le pape Célestin V.
Peine : tourmentés par mouches et guêpes, les damnés foulent un tapis de vers.
L’Achéron. Gardien : le nocher Charon.


Et voilà! envers nous dans une barque 
Livré sur un vieil homme chenu blanc avec eld, 
Pleurer, "Malheur à vous, esprits méchants!


Leur foule vint ensuite, en une seule fois,
pleurant amèrement, sur la rive fatale
où dévalent tous ceux qui ne craignent pas Dieu.

Chant IV

Nous sommes arrivés à l'endroit où j'ai dit
que tu rencontreras des hommes dont la peine
est de perdre à jamais le bien de l'intellect. »32
Ensuite il vint me prendre une main dans les siennes,
et me rendit courage avec un doux sourire,
me faisant pénétrer au sein de ce mystère.
Là, des pleurs, des soupirs, des lamentations
résonnent de partout dans l'air privé d'étoiles,
si bien qu'avant d'entrer j'en eus le coeur serré.

Haut Enfer 
1er cercle, les limbes puis le château des magnanimes et la prairie verdoyante : défaut de foi, les non-baptisés. Damnés : (âmes vertueuses mais ayant vécu avant l’avènement du ChristVirgile,HomèreHoraceOvide et Lucain. Il rencontre aussi Aristote « maître de tous les savants », SocratePlatonEuclidePtoléméeAvicenneGalien et Hippocrate.


Comme ils sont, en effet, tous les quatre mes pairs
dans cette qualité que la voix vient de dire,
ils me font cet honneur, et d'ailleurs ils font bien. »

C'est ainsi que je vis le beau choeur assemblé
de ce puissant seigneur du chant le plus illustre,
qui plane comme un aigle au-dessus de ses pairs39.

Après avoir parlé quelques instants entre eux,
ils se tournèrent tous vers moi, pour m'accueillir,
et mon maître observait ma mine en souriant.
Ils me firent alors un honneur bien plus grand,
car je fus même admis parmi leur compagnie,

Peine : éternellement frustrés dans leur désir de pouvoir contempler Dieu.
Virgile néanmoins informe Dante que Jésus lui-même, (« un seigneur puissant, que couronnait un signe de victoire ») est venu chercher « le père des hommes » AdamAbelNoéMoïse, le roi David,AbrahamIsraël et ses douze fils ainsi que Rachel. De nombreuses âmes furent encore sauvées mais Virgile insiste sur le fait que ce furent les premières.
Les incontinents

Chant V


Je descendis ainsi du premier de ces cercles
au deuxième46, qui semble occuper moins de place,
mais d'autant plus d'horreur, et dont l'aspect fait peur.
C'est là qu'attend Minos à l'horrible grimace.

Il se tient à l'entrée et soupèse les fautes,
il juge et il condamne en un seul tour de queue.47
Chaque esprit qu'on destine aux peines infernales
se montre en sa présence et vient se confesser ;

et ce grand connaisseur, expert en tous les crimes,
considère quel coin de l'Enfer lui convient
et enroule à son corps sa queue autant de fois
qu'il veut que le damné descende de degrés.


2e cercle : luxurieux, impudiques et morts par amour. Gardien : Minos, qui pèse les crimes et oriente vers les différents cercles. Damnés : SémiramisDidonCléopâtreHélèneTristan... Paolo et Francesca da Rimini
Peine : Emportés par la bourrasque contre les bords escarpés de l'abîme.

C'est à partir de là que j'entendis vraiment
les cris du désespoir, et que le bruit des pleurs
commença tout d'abord à frapper mon oreille.

Je voyais devant nous un antre sans lumière
dont le rugissement ressemble à la tempête
qui soulève parfois les vagues de la mer.

L'infernal tourbillon, tournoyant sans arrêt,
emporte les esprits mêlés dans son tumulte,
les frappe, les culbute, les presse de partout,
les faisant tous rouler au bord du précipice,
où l'on sent redoubler leur angoisse et leurs cris,
et ils insultent tous la divine bonté.

Ensuite je lui dis : « Poète, j'aimerais
parler à ces deux-là, qui vont l'un près de l'autre
et qui semblent tous deux si légers dans le vent. »51

Il répondit : « Attends qu'ils arrivent plus près ;
appelle-les ensuite, au nom de cet amour
qui les conduit toujours, et ils te répondront. »
Aussitôt que le vent les eut poussés vers nous,

je leur fis signe et dis : « Âmes inconsolées,
parlez-nous un instant, si rien ne l'interdit ! »
Et comme vers le nid se pressent les colombes
qu'appelle le désir, les ailes déployées,
plutôt que par leur vol, par l'amour emportées,
du groupe de Didon tels ils se séparèrent
et s'en vinrent vers nous à travers l'air infect,
forcés par le pouvoir de l'appel amoureux.

« Ô gracieux esprit, si plein de courtoisie,
qui nous viens visiter au sein de ces ténèbres,
nous, dont le sang jadis avait souillé le monde,
si nous étions amis du roi de l'univers,
nous le supplierions qu'il te donne la paix,
pour t'être apitoyé sur nos cruels tourments.

Amour, qui fait autant d'aimés que d'amoureux,
vint enflammer si fort mon coeur pour celui-ci,
qu'il est, tu le vois bien, loin de m'abandonner.
Amour nous conduisit vers une seule mort :

Caïne attend celui qui nous quitta la vie. »53
Et ce fut sur ces mots que son discours prit fin.
Pendant que j'écoutais ces âmes tourmentées,
je baissais le regard et je restais muet ;
mais le poète dit : « À quoi donc penses-tu ? »

Alors je commençai par lui répondre : « Hélas !
combien de doux pensers, de désirs amoureux
ont conduit ces deux-ci vers cette triste impasse ! »

Puis, me tournant vers eux, je repris la parole :
« Francesca, le récit de ton triste martyre
n'a laissé dans mon coeur que douleur et pitié.
Mais dis-moi cependant : au temps des doux soupirs,
comment, par quel moyen l'amour vous permit-il
de comprendre, les deux, vos passions naissantes ? »
Elle me répondit : « La plus grande douleur
est de se rappeler les instants de bonheur
au temps de la misère ; et ton docteur le sait54.
Cependant, si tu veux savoir les origines
de notre affection, je veux bien te les dire,
même s'il me fallait pleurer en racontant.
Un jour, nous avons pris du plaisir en lisant
de Lancelot, qui fut esclave de l'amour ;
nous étions seuls tous deux et sans aucun soupçon.

Souvent notre regard se cherchait longuement
durant notre lecture, et nous devînmes pâles ;
pourtant, un seul détail a suffi pour nous perdre.
Arrivés à l'endroit où cette belle bouche
était baisée enfin par cet illustre amant55,
celui-ci, dont plus rien ne peut me séparer,
vint cueillir en tremblant un baiser sur mes lèvres.
Le livre et son auteur furent mon Galehaut ;
et pour cette fois-là la lecture a pris fin. »
Pendant qu'un des esprits me racontait cela,
l'autre pleurait si fort que, mû par la pitié,
je défaillis moi-même et me sentis mourir,
et finis par tomber comme tombe un cadavre.

Chant VI


Recouvrant mes esprits, après la défaillance
qui me vint par pitié pour ces deux amoureux
et qui me fit sombrer dans leur même douleur,
je vis autour de moi beaucoup d'autres tourments
et d'autres tourmentés, s'étendant aussi loin
que je pouvais tourner les yeux et regarder.

Je me trouvais alors dans le troisième cercle56,
châtié par la pluie éternelle et glacée
qui ne cesse jamais de tomber en ce lieu.

La grosse grêle et l'eau qui se mêle à la neige
retombent sans répit dans l'air chargé de noir,
transformant en marais la terre empuantie.

Cerbère guette là, bête étrange et cruelle,
aboyant comme un chien de son triple gosier
contre les gens plongés dans les eaux de là-bas.
Il a des yeux de braise et le menton poisseux,
un énorme poitrail et des pattes griffues
dont il bat les esprits, les lacère et écorche.

Comme des animaux ils hurlent sous la pluie ;
les malheureux gourmands se couvrent de leurs corps
et, pour se protéger, se retournent souvent.

Dès qu'il nous aperçut, le grand dragon Cerbère
ouvrit sa triple gueule et nous fit voir ses crocs,
tandis qu'un long frisson parcourait tout son corps.

3e cercle : les gourmands. Gardien : Cerbère. Damné : Ciacco, un concitoyen de Dante, ce dernier lui demande ce qu'il est advenu de Farinat (entre autres), Ciacco lui répond qu'il est parmi « les âmes les plus noires de l'enfer »(ainsi que nous le verrons dans le chant X). Peine : Étendus dans la boue sous la pluie et la grêle.
Nous marchions au milieu des ombres que fustige
cette pluie accablante, et nous mettions nos pieds
sur leur vaine apparence où l'on croit voir des corps.
Elles gisaient au sol, les unes sur les autres ;
l'une d'elles pourtant se leva promptement,
lorsqu'elle nous eut vus arriver auprès d'elle.
« Ô toi que l'on conduit à travers cet Enfer,
reconnais-moi, dit-elle, si cela t'est possible :
je n'étais pas défait quand tu fus fait toi-même. »
Moi, je lui répondis : « Sans doute ton tourment
a si bien effacé tes traits de ma mémoire,
qu'il me semble te voir pour la première fois.
Dis-moi ton nom, pourtant, toi que l'on fait souffrir
dans ce séjour du mal, parmi de tels supplices
que, s'il en est de pire, aucun n'est plus affreux. »
« Ta ville, me dit-il, où le poison d'envie
a pénétré si loin que le sac en déborde,
m'avait eu dans son sein pendant la douce vie.

Chant VII


« Pape satan pape satan aleppe »62,
cria vers nous Pluton d'une voix éraillée ;
et le sage courtois, à qui rien n'échappait,
dit, pour m'encourager : « N'en sois pas effrayé,
car, pour grand que puisse être ici-bas son pouvoir,
il ne peut t'empêcher de descendre ces bords. »
Puis il se retourna vers la gueule bouffie
et il lui répondit : « Ô loup maudit, tais-toi,
ou ronge-toi toi-même avec ta propre rage !
Ce n'est pas sans raison qu'il descend dans ce gouffre :
on le veut à l'endroit où l'archange Michel
a bien su se venger de l'orgueilleux troupeau. »
Comme un voile que gonfle et que soutient le vent
tombe confusément lorsque le mât se brise,
cette bête maudite alors tomba par terre.

4e cercle : avares et prodigues. Gardien : Ploutos (à ne pas confondre avec Pluton), dieu grec des richesses. 
Peine : Avares et prodigues poussent de gros rochers en s’injuriant mutuellement. Monologue de Virgile à propos de la divinité Fortune.

Regarde donc, mon fils, et vois la brève farce
de ces biens qui, commis aux jeux de la Fortune,
sont recherchés par vous avec tant d'âpreté,
puisque tout l'or trouvé sous la lune, et celui
que l'on n'a pas trouvé, ne sauraient assurer
le repos de l'un seul de ces esprits perdus. »
« Maître, lui dis-je encore, un seul détail de plus :
quelle est cette Fortune à qui tu te réfères
et qui dispose ainsi de tous les biens du monde ? »

Il s'en montra surpris : « Ô créatures folles,
combien votre ignorance offusque votre esprit !
Goutte à goutte, voici le lait de ma doctrine :
Celui dont le savoir dépasse toute chose
donna les cieux en garde à quelqu'un qui les guide,
pour qu'ils brillent partout dans toutes leurs parties
et pour que de leurs feux soit égal le partage.

Les richesses du monde ont eu le même sort,
car il mit à leur garde une grande puissance65,
qui fait que tous les biens passent en temps voulu
je l'un aux mains de l'autre, ou bien de race en race,
sans jamais prendre garde aux projets des mortels.

5e cercle, le Styx : les coléreux et les mélancoliques
Peine : Immergés dans la vase du fleuve, les âmes se frappent et se mordent férocement, tandis que les mélancoliques (ceux qui « allaient gémissant sous le clair soleil ») se morfondent sous la boue.

Plus bas est un marais qu'on appelle le Styx
et qu'alimente l'eau de ce triste ruisseau,
quand celui-ci rejoint les campagnes maudites67.
Moi, qui dardais mes yeux pour mieux le regarder,
je vis dans ce bourbier plonger des hommes nus,
recouverts par la fange et bouillant de courroux.
Ils échangeaient des coups, non seulement des mains,
mais aussi de la tête et des pieds et du corps,
mordant à belles dents et s'entre-déchirant.
Le bon maître me dit : « Regarde-les, mon fils,
ceux qui se sont laissé vaincre par la colère !
Et il convient d'ailleurs que tu te rendes compte
que d'autres sont cachés, sous l'eau, dont les soupirs
font partout bouillonner la surface du lac,
selon ce que tu peux observer par toi-même.
Dans leur bourbe on entend : « Nous fûmes mécontents
là-haut, dans le doux air qu'échauffe le soleil,
dans un sommeil fumeux grisés par l'indolence68 :
nous pleurons maintenant dans cet obscur bourbier ! »
Dans leur gosier noyé voilà ce qu'ils gargouillent,
car ils ne sauraient pas le dire clairement. »
Nous fîmes tout le tour de cette mare immonde,
tournant entre l'escarpe et la terre moisie
et regardant toujours les avaleurs de fange,
pour arriver enfin jusqu'au pied d'une tour.


Chant VIII


Alors je me tournai vers la mer de sagesse
et je dis : « Qu'est ceci ? Qu'est-ce qu'elle répond,
la flamme de là-bas ? Qui l'a donc allumée ? »
Il répondit : « Déjà sur les ondes crasseuses
tu peux apercevoir celui que l'on attend,
si tu perces des yeux la brume du marais. »
Jamais sans doute un arc n'a décoché la flèche
plus vite et plus légère à travers les espaces,
que la petite nef que j'aperçus alors
s'avancer droit vers nous, sur l'eau du marécage ;
et un seul nautonier tenait le gouvernail,
qui criait : « Je te tiens enfin, esprit félon ! »
« Phlégias, Phlégias, c'est en vain que tu cries
en cette occasion, répondit mon seigneur,
car tu ne nous tiendras que le temps de passer. »
Alors, comme celui qui s'aperçoit trop tard
qu'on vient de le jouer et s'en afflige en vain,
tel devint Phlégias, dévoré par sa rage.

Iracondi e accidiosi (1587), Giovanni Stradano : Dante et Virgile dans la barque de Phlégyas, Chant VIII de l'Enfer
5e cercle, la tour aux deux fanaux surplombe le fleuve ; aux portes de Dité. Gardiens : du fleuve, le nocher Phlégyas ; de la cité, une foule de démons. Dante y rencontre Filippo Argenti, damné et ennemi personnel de Dante, qui paraît-il, l'aurait souffleté en public, il périt dévoré par les âmes en colère et par lui-même. Virgile et Dante se retrouvent bloqués aux portes de Dité, Virgile tente de trouver un compromis avec les démons mais finalement ceux-ci se cloîtrent et refusent d'ouvrir la porte.

Pendant que ce vaisseau glissait sur l'onde morte,
un damné se dressa près de moi, plein de fange,
disant : « Qui donc es-tu, toi qui viens avant l'heure ? »
Je répondis : « Je viens, mais du moins je repars.
Mais toi, qui donc es-tu, pour être si crasseux ? »
« Tu vois, dit-il : je suis un des esprits qui pleurent. »
« Reste donc, répondis-je alors, avec tes pleurs
et tes gémissements, âme à jamais maudite,
car je te connais bien, malgré ta saleté ! »
Il voulut tendre alors ses deux mains vers la nef ;
mais le maître avisé le repoussait au loin,
en lui disant : « Va-t'en avec les autres chiens !73
Ensuite il m'entoura le cou de ses deux bras
et dit en me baisant au visage : « Âme altière,
qu'à jamais soit béni le sein qui t'a porté !
Celui-là fut jadis bouffi par tant d'orgueil,
que nulle oeuvre ne pare aujourd'hui sa mémoire ;
et la justice veut qu'ici son ombre enrage.
Combien sont-ils là-haut, vivant comme des princes,
nui deviendront un jour des porcs dans le bourbier,
laissant pour souvenir un horrible mépris ! »
Moi : « Je serais bien aise, ô maître, de le voir
obligé de plonger dans cette saleté,
avant d'avoir, les deux, fini la traversée. »
Et il me répondit : « Avant d'avoir atteint
l'autre rive, ton voeu sera réalité,
car ton juste désir s'accomplira bientôt. »

Nous parvînmes enfin au fond des grands fossés
qui gardent de partout la ville inconsolée,
au pied des murs pareils aux blocs de fer forgé.
Et, non sans avoir fait un assez long détour,
nous vînmes à l'endroit où l'horrible nocher
nous cria : « Descendez ! C'est par ici qu'on entre ! »
Sur les portes je vis plus d'un millier d'esprits
précipités du Ciel, disant avec mépris :
« Qui donc est celui-ci, qui, sans mourir lui-même,
au royaume des morts entre comme chez lui ? »
Mais mon sage docteur leur montra par des signes
qu'il leur ferait savoir certaine chose à part.
Ils réprimèrent donc un peu leur grand dépit
et dirent : « Viens toi seul, et que l'autre s'en aille,
puisqu'il eut le toupet d'entrer dans nos contrées.
Qu'il refasse tout seul son voyage insensé !
Qu'il retourne, s'il peut ! car tu restes ici,
toi, qui nous l'amenas dans nos noires provinces ! »

Chant IX


Je ne me souviens plus de ses autres propos,
car je tenais alors l'attention fixée
sur le haut de la tour à la cime embrasée,
où je vis tout à coup se dresser trois Furies,
engeance de l'Enfer, toutes teintes de sang,
ayant pourtant l'aspect et les membres de femmes.
Elles ceignaient leurs flancs avec des hydres vertes ;
des touffes de serpents, pour toute chevelure,
venaient s'entortiller sur leurs horribles tempes.
Lui, qui reconnaissait déjà les domestiques
de la reine des pleurs et du deuil éternel,
il dit : « Regarde bien, ce sont les Érynnies.
Mégère est celle-là, que tu vois à ta gauche ;
celle qui se lamente à droite est Alecto ;
Ctésiphone au milieu. » Là-dessus il se tut.
Elles fendaient leur sein de leurs griffes pointues,
se frappant de leurs mains avec des cris perçants
qui me firent coller de peur à mon poète.
« Apportez la Méduse ! On le laissera raide !
criaient-elles ensemble, en regardant vers nous.
Ne faisons plus l'erreur qui servit à Thésée ! »77
« Détourne ton regard et tourne ton visage,
puisque, si l'on te fait regarder la Gorgone,
tu peux perdre l'espoir de retourner là-haut ! »
Ainsi parla mon maître. Il me tourna lui-même
et, sans se contenter de l'abri de mes mains,
il me ferma les yeux, de plus, avec les siennes.
Vous tous, qui jouissez d'un esprit clair et sain,
réfléchissez quel est l'enseignement caché
sous le voile léger des vers mystérieux !

5e cercle, Les remparts de Dité ; à l’intérieur de la cité : les sépulcres ardents. Gardiennes : Les trois Furies puis Méduse. Adjuvant : Un messager divin ouvre les portes de Dité.

Je compris que c'était un envoyé du Ciel,
et j'allais le nommer ; mais le maître fit signe
que je devais me taire et montrer du respect.
Ah ! comme il me parut superbe, son courroux !
D'un seul coup de baguette il fit ouvrir la porte,
sans que personne osât lui faire résistance.
« Vous, les bannis du Ciel, engeance méprisable,
prononça-t-il d'abord sur ce seuil repoussant,
d'où vient dans votre coeur pareille outrecuidance ?
Pourquoi vous rebeller contre la volonté
dont personne ne peut interrompre le cours
et qui plus d'une fois augmenta vos misères ?
À quoi sert de cosser contre votre destin ?
Si ce n'est qu'un oubli, demandez à Cerbère,
puisqu'il en porte encor le goître tout pelé ! »81
Ensuite il repartit sur le chemin infect,
sans jeter un regard sur nous, car il semblait,
au contraire, occupé par bien d'autres pensers
que celui de savoir qui nous étions nous-mêmes.
Nous guidâmes alors nos pas vers la cité,
tout à fait rassurés par les saintes paroles.

Nous entrâmes enfin, sans combat, sans encombre ;
et moi, comme toujours, désireux de savoir
l'état et la raison de cette forteresse,
je me mis, dès l'entrée, à scruter le paysage
et je vis tout autour une immense campagne
où semblaient habiter le deuil et les tourments82.
Comme là-bas, près d'Arles où le Rhône s'endort,
ou bien comme à Pola, tout près du Quarnaro,
qui finit l'Italie et baigne ses confins,
on voit de vastes champs parsemés de tombeaux83,
telle on voyait partout cette immense étendue,
bien que d'une façon mille fois plus horrible ;
car parmi les tombeaux des feux éparpillés
les chauffait jusqu'au point de les rendre si blancs,
que le fer ne l'est pas autant sur les enclumes.
Les couvercles pourtant demeuraient relevés,
et l'on en entendait de si tristes soupirs,
que l'on comprenait bien leur deuil et leur misère.
Alors je demandai : « Maître, qui sont ces gens
qui sont ensevelis dans ces coffres de pierre
et qu'on entend pousser de si cuisants soupirs. »
« Ici, répondit-il, sont les hérésiarques,
avec leurs sectateurs de toutes les couleurs ;
les tombeaux en sont pleins plus que tu ne peux croire.
Les semblables sont là, mis avec les semblables
et leurs cercueils sont tous plus ou moins échauffés. »
Après cette réponse, il tourna vers la droite,
passant entre le mur et le champ des supplices.

Bas Enfer

Chant X


Mon maître s'engagea dans un sentier étroit,
pris entre la muraille et les suppliciés,
pendant que je suivais dans l'ombre de ses pas.
« Suprême sage, toi qui me fais parcourir
selon ton bon plaisir ce néfaste giron,
contente, dis-je alors, mon désir de savoir !
Pourrait-on regarder les gens ensevelis
dans ces tombeaux ? J'en vois les couvercles levés,
et personne n'est là, qui puisse l'interdire. »
Il répondit alors : « Ils resteront ouverts
jusqu'au jour où viendront, retour de Josaphat,
les corps qu'ils ont jadis abandonnés là-haut.
Regarde par ici : de ce côté se trouvent
les tombeaux d'Épicure et de tous ses disciples,
qui veulent que l'esprit finisse avec le corps.

6e cercle, parmi les tombeaux enflammés : les hérétiques. Damnés : les épicuriensFarinata degli UbertiCavalcante Cavalcanti, le pape Anastase II. L'un des damnés informe Dante sur son futur exil de Florence (janvier 1302) ainsi que du triste destin de son parti, lorsqu'il reviendra en juin 1304 et qu'il se rendra compte que les efforts de son parti (les guelfes blancs : l'un des nombreux clans qui se sont disputé Florence au début du 14e siècle avant l'arrivée desMédicis, en 1434) étaient vains.
Quant à la question que tu viens de poser,
tu seras satisfait ici même et bientôt,
comme l'autre désir que tu ne veux pas dire. »
« Bon guide, dis-je alors, je ne te cèle point
mon penser, si ce n'est afin de moins parler :
tu me l'as conseillé plus d'une fois toi-même. »
Toscan qui sais parler un si courtois langage
et traverses, vivant, cet empire du feu,
arrête-toi, de grâce, à l'endroit où nous sommes,
puisque j'ai vite fait de voir à ton discours
que tu dois être fils de la noble patrie
pour laquelle peut-être ai-je été trop sévère. »

Chant XI


Ayant gagné le bord d'une haute falaise,
où les éboulements des rochers font un cercle,
nous fûmes au-dessus d'un pays plus maudit.
Là, pour fuir l'excessive, l'horrible puanteur
qui s'élève du fond de ce profond abîme,
nous cherchâmes l'abri qu'offrait un sarcophage
portant sur le dessus l'inscription suivante :
« Je garde en ma prison Anastase le pape,
que Photin fit marcher sur de mauvais chemins. »
« Il nous faudra d'abord descendre doucement,
pour laisser que tes sens s'accoutument un peu
à cette odeur ; plus tard, nous n'en tiendrons plus compte.
Ainsi disait le maître. « En attendant, lui dis-je,
pour employer le temps, trouve autre chose à faire. »
« J'y pensais justement, répondit-il de suite.
Au centre, me dit-il, de tout cet éboulis,
de plus en plus petits, tu trouveras trois cercles,
étages et pareils à ceux qu'on vient de voir.
Ils sont tous habités par des âmes maudites ;
mais pour qu'en arrivant tu comprennes plus vite,
apprends dès maintenant comment les distinguer.
Tous les maux qui se font détester dans le Ciel
ont pour but une offense, et ce but d'ordinaire
afflige le Prochain par la force ou la fraude.

7e cercle : les violents et ceux qui ont commis le péché de fraude. Tombe du pape Anastase. On apprend dans ce chant la subdivision de ce cercle en 3 girons : ceux qui ont été violents envers leur prochain, ceux qui furent violents envers eux-mêmes et finalement ceux qui l'ont été envers Dieu, les blasphémateurs, ainsi que ceux qui ont été violents contre la nature (les sodomites).

Chant XII


L'endroit que nous cherchions pour descendre la côte
était, grâce à celui qui surveillait l'entrée,
si hideux, qu'il vaut mieux ne jamais l'avoir vu.
Comme l'éboulement qui, du côté de Trente,
s'est jadis effondré dans le lit de l'Adige,
soit par l'effet des eaux ou de quelque secousse,
en sorte qu'en partant du haut de la montagne
les rochers disloqués s'étalent jusqu'en bas,
ménageant un passage à travers leur ruine,
ainsi l'on descendait vers le fond de ce gouffre ;
et sur le bord pointu de la roche effondrée
on voyait affalé le déshonneur de Crète
qui fut jadis conçu dans une fausse vache.
Aussitôt qu'il nous vit, il mordit dans ses mains,
comme ceux qu'au-dedans dévore la colère.
Mon sage guide alors lui cria : « Par hasard
crois-tu que c'est toujours le même duc d'Athènes
qui là-haut, dans le monde, a mis fin à tes jours ?

1er giron : Coupables de violences envers leur prochain (homicides, brigands...)
Les damnés sont tourmentés par les flèches de trois centaures (Pholus, Nessus et Chiron), ils se font bouillir dans une mare de sang.
Comme enrage un taureau qui brise ses attaches,
à l'instant où l'atteint le coup dont il mourra
et, sans pouvoir courir, se trémousse et bondit,
je voyais faire ainsi des bonds au Minotaure ;
et l'autre me cria prestement : « Passe vite !
Il faut te faufiler, profitant de sa rage ! »
Je descendis alors dans le ravin rempli
de cailloux qui souvent se déplaçaient sous moi,
étonnés de sentir passer ce poids nouveau.
Je marchais en silence ; et il me dit : « Tu penses
sans doute à cet endroit, gardé par la fureur
du monstre que je viens d'obliger à se taire ?
Il te faut donc savoir que la dernière fois
où je passai par là, vers le bas de l'Enfer,
la brèche de ce roc était encor fermée.
Mais, si je me souviens, c'était un peu plus tard
que devait arriver Celui qui prit à Dite
tout l'énorme butin du premier de ces cercles.
L'immense abîme alors trembla sur ses assises,
de toutes parts, si fort que je crus que le monde
ressentait cet amour qui, selon ce qu'on dit,
changea plus d'une fois l'univers en chaos :
ce fut sans doute alors que cette vieille roche
s'est effondrée, ici comme dans d'autres points.
Regarde maintenant en bas : nous approchons
du fleuve aux flots de sang où sont punis tous ceux
qui contre leur prochain usent de violence. »


Nous partîmes, suivis de la fidèle escorte,
et longeâmes le bord de ce bouillon vermeil
où cuisaient les esprits, poussant des cris affreux.
De leur nombre, certains plongeaient jusqu'au sourcil,
et le centaure dit : « Ce sont de vils tyrans,
Qui n'ont jamais eu soif que de sang et conquêtes.
C'est ici qu'on punit leurs trop sanglants méfaits ;
regardez Alexandre et le cruel Denis
que la Sicile avait si longuement souffert.
Cette crinière noire où se cache une tête
est celle d'Ezzelin ; et l'autre tête blonde
est celle d'Obizzon d'Esté, que mit à mort
un enfant naturel indigne de ce nom. »
Comme je me tournais vers le poète, il dit :
« Qu'il soit premier ici, je lui cède la place ! »
À quelques pas de là s'arrêta le centaure,
près de quelques esprits qui, plongés jusqu'au cou,
semblaient vouloir sortir de ce bouillonnement.
Dans un coin, à l'écart, il nous fit voir une ombre,
nous disant : « Celui-ci perça devant l'autel
le coeur que l'on vénère aux bords de la Tamise. »
Bien d'autres, au-delà, sortaient des flots de sang,
dressant toute la tête, et d'autres tout le buste ;
et quelques-uns d'entre eux n'étaient point inconnus.
Le sang semblait pourtant décroître en profondeur,
s'abaissant jusqu'au point de ne cuire qu'aux pieds ;
et c'est à cet endroit que nous l'avons franchi.

Chant XIII


Nessus n'eut pas le temps d'atteindre l'autre rive,
que déjà nous entrions dans un grand bois épais,
où l'on n'apercevait nulle trace de pas.
Son feuillage semblait d'un vert plutôt noirâtre ;
et ses rameaux rugueux et noueux et tordus
portaient, au lieu de fruits, des ronces vénéneuses.
De Cécine à Comète, un animal sauvage
qui s'éloigne le plus des endroits habités
n'a pas, pour s'abriter, de plus épais fourré.
C'est là que font leur nid les immondes Harpies
que les Troyens jadis chassèrent des Strophades,
quand les malheurs futurs perçaient dans les présages.
Elles ont l'aile large, et le cou et la tête
humains, les pieds griffus et le ventre d'oiseau,
et poussent de grands cris sur ces arbres étranges.
Le bon maître me dit : « Avant d'aller plus loin,
sache que nous entrons au deuxième giron
et (me dit-il encor) que nous y resterons
jusqu'à mettre le pied sur les horribles sables124.
Regarde, en attendant, et tu verras des choses
que tu ne croirais pas, si je te les disais. »
On entendait monter de toutes parts des plaintes ;
pourtant, je ne voyais personne autour de nous,
et j'arrêtai mes pas, assez déconcerté.
Je crois qu'il avait cru que je croyais sans doute
que tant de tristes voix qui sortaient de ces troncs
venaient de quelques gens qui se cachaient de nous


2e giron : Coupables de violences envers eux-mêmes (suicides, ceux qui ont dilapidé leur fortune...)
Gardiens : Les harpies et des chiennes noires. Dante et Virgile arrivent dans une vaste forêt. Sur les conseils de Virgile, Dante arrache un rameau à l'un des arbres, qui se lamente aussitôt : on apprend alors que les damnés sont éternellement transformés en arbres épineux et noueux. Ceux qui ont rejeté leur corps (i.e. les suicidés) se présentent devant Minos (celui qui juge et attribue les damnés), il les envoie dans cette forêt au hasard, et d'une pousse, grandit un arbre sauvage où perpétuellement naissent des feuilles que les harpies dévorent avidement, ce qui leur cause des souffrances atroces. Le jour du jugement dernier il leur sera interdit de reprendre leur forme originelle (c'est-à-dire leur corps) étant donné qu'ils se sont ôté la vie, et ils devront se présenter en ce grand jour nus comme des vers, et lorsque le jugement sera fait, ils devront traîner eux-mêmes leur dépouille et l'on accrochera le cadavre de chacun, sur la branche épineuse du damné.
Dante y rencontre Pierre des Vignes, Jacques de Saint-André.


Lors je tendis un bras pour en faire l'essai
et je pris un rameau d'un énorme sorbier.
« Pourquoi me fais-tu mal ? » cria soudain le tronc.
Je vis presque aussitôt couler un sang noirâtre
et il continuait : « Pourquoi me déchirer ?
Ton coeur serait-il donc à ce point endurci ?
Nous fûmes des humains, qui sommes des chicots,
et ta main aurait dû se montrer plus clémente,
même si nous étions des âmes de serpents ! »
Comme un tison trop vert qui se met à brûler
par l'un de ses deux bouts, tandis que l'autre suinte,
sifflant et gémissant avec l'air qui s'enfuit,
par la fente du bois tels jaillissaient ensemble
le sang avec les mots ; et je laissai tomber
la branche de ma main, en reculant d'horreur.
Mon sage guide alors lui dit : « Âme blessée,
s'il avait pu me croire avant de l'éprouver,
sur ce qu'il vient de voir, en lisant mon poème,
il n'aurait pas porté sa main ainsi sur toi ;
c'était pourtant si dur à croire, que j'ai dû
moi-même l'y pousser, ce dont je suis navré.
Mais dis-lui qui tu fus, afin que, par manière
de réparation, il rappelle ton nom
au monde, car il a le droit d'y remonter. »
« Tu me flattes, lui dit le tronc, par des discours
si doux, que je ne puis me taire ; souffre donc
que je perde un instant à vous entretenir.
Je suis celui qui tint autrefois les deux clefs
du coeur de Frédéric126, l'ouvrant et le fermant ;
et je le manoeuvrais avec tant de douceur,
que j'éloignais de lui toute autre confiance ;
et je fus si fidèle au glorieux office,
que j'en avais perdu la paix et la santé.
Mais l'infâme putain qui surveille sans cesse
le palais de César de son regard vénal,
la mort commune à tous et le vice des cours,
finit par émouvoir contre moi tous les coeurs ;
les émus à leur tour émurent l'empereur,
transformant en douleur mon bonheur insolent.
Alors mon triste coeur, choisissant le dédain,
évita le dédain des autres par la mort
et fut, quoique innocent, coupable envers lui-même.
Cependant, par ce tronc et ses racines neuves,
je jure que jamais je ne fus infidèle
à mon seigneur aimé, digne de toute gloire.

Le poète attendit un instant, puis il dit :
« Ne perdons pas de temps, puisqu'il vient de se taire :
vite, demande-lui ce que tu veux savoir ! »
Je répondis alors : « Fais-le pour moi, toi-même ;
dis-lui ce que tu sais qui me ferait plaisir :
je ne saurais parler, tant la pitié m'étreint. »
Il reprit aussitôt : « Cet homme accomplira
très ponctuellement ce que tu lui demandes,
esprit emprisonné ; mais dis-nous cependant
par quel moyen l'esprit se trouve rattaché
à sa souche noueuse, et dis-nous, si tu peux,
s'il s'en détache aucun de ses membres tordus. »
Alors sortit du tronc un souffle qui devint
presque au même moment une voix qui disait :
« Je vais, en peu de mots, te donner la réponse.
Lorsqu'une âme trop fière est enfin séparée ;
du corps dont elle s'est elle-même arrachée,
Minos la précipite au septième des cercles. ;
Elle tombe en ce bois, mais sans choisir sa place,
au point où le hasard l'a voulu projeter,
et finit par germer, pareille au grain d'épeautre.
Un rejeton en sort, qui devient bientôt arbre ;
et, en venant ronger ses feuilles, les Harpies
ouvrent un seul chemin à la peine et aux pleurs.
Nous aussi, nous irons chercher notre dépouille,
mais sans qu'aucun de nous s'en puisse revêtir,
car on ne peut ravoir ce qu'on jette soi-même.
Nous devons la traîner dans l'affreuse forêt ;
ensuite, chaque corps sera pendu sur place,
au sorbier de l'esprit qui lui fut ennemi. »
Nous restâmes encore attentifs à sa voix,
pensant qu'il n'avait pas fini de nous parler,
lorsque soudainement on entendit un bruit
dont nous fûmes surpris, comme un chasseur qui sent
se rapprocher la meute avec le sanglier,
dans le fracas des chiens et le bruit des broussailles.
Tout à coup deux esprits débouchèrent à gauche,
dévêtus, écorchés, et qui couraient si fort
que les rameaux cassés craquaient sur leur passage m.
Le premier s'écriait : « Viens vite, ô mort, arrive ! »
Et l'autre, qui courait tant qu'il pouvait, lui dit :
« Il me semble, Lano, qu'au combat de Toppo
tes pieds n'ont pas été plus légers qu'aujourd'hui ! »
Et, sentant que le souffle allait lui défaillir,
il voulut se tapir à l'ombre d'un buisson.
Je vis que derrière eux, partout, des chiennes noires
remplissaient la forêt et couraient affamées,
pareilles aux lévriers délivrés de leur laisse ;

Chant XIV


Le sol en était fait d'un sable épais et sec,
tout à fait ressemblant à l'autre, qui jadis
avait été foulé par les pieds de Caton.
Ô vengeance de Dieu, combien tu dois paraître
redoutable au lecteur qui peut imaginer
ce que j'ai vu là-bas avec mes propres yeux !
Je vis de grands troupeaux d'esprits tout à fait nus,
qui se lamentaient tous bien misérablement
et paraissaient soumis à des lois différentes.
Certains de ces esprits gisaient couchés par terre,
d'autres restaient assis, ramassés sur eux-mêmes,
et puis d'autres encor ne cessaient de marcher.
Ceux qui rôdaient ainsi formaient le plus grand nombre ;
et quoique les couchés fussent les moins nombreux,
leurs lamentations paraissaient les plus fortes.
Sur cette mer de sable il pleuvait lentement
de grands flocons de feu qui tombaient sans arrêt,
comme les jours sans vent il neige à la montagne.
Et tout comme Alexandre au chaud pays des Indes
vit tomber sur ses gens les flammes par ondées
qui ne s'éteignaient pas, même en touchant la terre,
et se vit obligé de les faire fouler
aux pieds de ses soldats, pour mieux les étouffer
et éviter qu'en naisse un océan de feu,
telle descend là-bas cette ardeur éternelle
où s'allume le sable comme au briquet la mèche,
et qui fait redoubler leurs cuisantes douleurs.
Et l'on voyait toujours les misérables mains
se mettre en mouvement, pour écarter du corps
les brûlures nouvelles qui pleuvaient de partout.
Je ne pus m'empêcher de demander : « Ô maître,
toi qui vaincs tout au monde, hormis les durs démons
qui vinrent devant nous pour nous fermer la porte,
qui donc est celui-ci, qui si peu se soucie
du feu, qu'il reste là, dédaigneux et tordu,
si bien que l'on dirait qu'il ne sent même pas ? »
Cependant cet esprit semblait avoir compris
que c'était bien de lui que je parlais au guide,
car il dit : « Je suis mort tel que j'étais vivant.
Que Jupiter harasse encor son forgeron
à qui, dans sa colère, il prit la foudre aiguë
qui vint me transpercer au dernier de mes jours ;
et que, l'un après l'autre, il épuise à la tâche,
au fond de Mongibel, la troupe des cyclopes,
en criant : « Bon Vulcain, j'attends ton coup de main !
ainsi qu'il fit jadis, au combat de Phlégra,
ou qu'il me frappe encor de ses coups les plus durs :
il ne trouvera pas de joie à se venger ! »


3e giron : Les violents contre Dieu 1re partie : Les blasphémateurs
Dante et Virgile arrivent dans une vaste étendue de sable aride, ardent, où rien ne pousse. Les milliers de damnés qui errent dans ce lieu ont trois attitudes différentes :
Certains sont couchés sur le sable, immobiles. D'autre sont assis, tout recroquevillés. Et finalement les derniers errent, marchant ou courant, sans jamais s'arrêter. Les âmes dans ce lieu sont soumis à une pluie de flammes, qui jamais ne s'arrête et lorsque ces flammes atteignent le sable, ce dernier prend feu et redouble la souffrance des damnés.
Dante y rencontre Capanée qui, fier et arrogant jusqu’à la fin des temps, se moque de son châtiment (et aussi des dieux) et ne baisse pas la tête. On apprend aussi les origines du Styx, de l'Achéron et du Phlégéton.

Chant XV


Nous croisâmes alors un long convoi d'esprits
qui longeaient la rivière ; et chacun, en passant,
nous toisait en silence, ainsi qu'on fait le soir,
sous l'éclat incertain de la lune nouvelle,
et nous dévisageait en fronçant le sourcil,
comme le vieux tailleur enfilant son aiguille.
Pesé par les regards de la triste famille,
l'un d'eux143 me reconnut et me saisit soudain
par un pan de l'habit, s'écriant : « Ô merveille ! »
Et moi, voyant le bras qui s'allongeait vers moi,
j'examinai de près ce visage trop cuit,
et ses traits calcinés ne purent m'empêcher
de le trouver enfin parmi mes souvenirs,
et, baissant doucement ma main vers sa figure,
je dis : « Sire Brunet, vous étiez donc ici ? »
Il répondit alors : « Mon fils, souffre un instant
que Brunet Latini retourne sur ses pas,
abandonnant pour toi le cortège des autres. »
« Du profond de mon coeur, dis-je, je vous en prie ;
et si vous désirez vous asseoir avec moi,
je le veux bien, s'il plaît à celui qui me mène. »
« Mon enfant, me dit-il, si quelqu'un de ma troupe
s'arrête un seul instant, il reste ensuite un siècle
sans pouvoir secouer le feu qui pleut sur lui.
Mais poursuis ton chemin, je t'accompagnerai ;
et puis, je rejoindrai la triste compagnie
qui chemine en pleurant sur son malheur sans fin. »
Comme je n'osais pas descendre du rempart,
pour marcher près de lui, j'avançais tête basse,
comme celui qui veut témoigner du respect.
Alors il commença : « Quel destin ou fortune,
avant ton jour dernier, t'a conduit jusqu'ici ?
Qui donc est celui-ci, qui te montre la voie ? »
Je répondis : « Là-haut, dans le monde serein,
j'ai perdu mon chemin au fond d'une vallée,
avant d'avoir atteint mon âge le plus mûr.
Ce n'est qu'hier matin que j'ai fait demi-tour :
je voulais en sortir, quand celui-ci survint,
qui doit me ramener chez moi par cette route. »
Il reprit son discours : « Si tu suis ton étoile,
tu ne manqueras pas le havre de la gloire,
si je t'ai bien connu dans la trop douce vie.
Hélas, pour moi la mort est trop tôt arrivée !
car, ayant vu comment le Ciel te favorise,
je t'aurais pu sans doute aider dans ton travail.
Cependant, cette engeance ingrate et maléfique
qui sortit autrefois des forêts de Fiésole,
mais reste, comme alors, incivile et barbare,
verra d'un mauvais oeil ta trop belle conduite :
et ce sera raison, car il ne convient pas
que le doux figuier prenne au milieu des cormiers.
Le bruit commun les dit depuis longtemps aveugles ;
ce peuple est envieux, avare et orgueilleux :
ne te laisse pas prendre à sa corruption !
Ton destin te réserve un honneur précieux,
de voir ses deux partis vouloir te dévorer :
mais de l'herbe à la bouche est bien long le chemin.
Qu'elles se vautrent donc, les bêtes fiésolaines,
dans leur propre fumier, mais sans toucher la plante
(s'il s'en produit encor quelquefois dans leur fange)
dans laquelle revit la semence sacrée
des Romains qui se sont établis dans la ville,
le jour où fut fondé ce repaire du crime. »
« Oh ! si j'avais pu voir ma prière exaucée,
lui répondis-je alors, vous n'auriez pas été
mis si vite à l'écart de l'humaine existence,
car je garde en mon coeur avec mélancolie
cette si chère et douce image paternelle
du maître qui, là-haut, m'enseignait chaque jour

3e giron : Les violents contre Dieu 2e partie : Les intellectuels
Dante en passant à côté d'un cortège de damnés, rencontre par hasard Brunetto Latini (philosophe et orateur) qui fut son conseiller, qui l'encouragea dans ses études, il fut une sorte de mentor pour Dante. Entretien avec Brunetto qui lui décrit les âmes qui sont ici, divers lettrés, François d'Accurse et Priscien, respectivement jurisconsulte et grammairien.

Chant XVI


Nous étions à l'endroit où parvenait le bruit
de l'eau qui dévalait dans le cercle suivant,
pareil au bruissement d'un grand essaim d'abeilles,
quand je vis s'éloigner trois ombres, en courant,
d'une troupe d'esprits qui justement passaient,
pendant que leur tourment pleuvait sur eux d'en haut.
Elles venaient vers nous et criaient toutes trois :
« De grâce, arrête-toi, toi dont l'habit nous montre
que ton pays pervers était aussi le nôtre. »
Hélas, combien je vis sur leurs membres de plaies
vieilles ou de tantôt, que les flammes grillaient
et dont je garde encore un cuisant souvenir !
En entendant leurs cris, mon docteur s'arrêta,
se retournant vers moi pour me dire : « Attends-les,
car il convient d'avoir des égards pour ceux-ci ;
et si tu ne craignais le fléau de ces flammes
qui font ici la loi, j'ajouterais aussi
que ce ne sont pas eux, mais toi qui dois courir. »
Ils avaient, pour leur part, déjà repris leur course,
en nous voyant attendre ; et dès qu'ils arrivèrent
près de nous, tous les trois ils formèrent un cercle ;
et comme les lutteurs, tout nus et enduits d'huile,
se surveillent entre eux, cherchant leur avantage,
avant de s'empoigner et d'échanger des coups,
tels ils tournaient en rond, sans me perdre de vue,
si bien que l'on eût dit que leurs têtes tournaient
sur un cercle contraire à celui de leurs pieds.

3e giron : Les violents contre Dieu 3e partie : Les sodomites, les violents contre la nature
Virgile et Dante y rencontrent trois hommes d'État (Guido Guerra, Thegghiajo Aldobrandi et Jacopo Rusticucci), qui étaient soit soldats, soit valeureux chevaliers. Toujours autant défigurés par les flammes, ils demandent à Dante si Valeur et Courtoisie ont toujours place à Florence. Dante leur répond que non, la richesse et l'orgueil ont corrompu leur belle cité, finalement ils demandent encore à Dante de parler d'eux lorsqu'il reviendra parmi les vivants.

À la fin du chant les deux acolytes lancent une corde au fond d'un bassin, où se jette Phlégéton, ce qui leur permet de passer au cercle suivant, à noter que la corde était autour de Dante depuis le premier chant, il entreprenait d'attraper la panthère avec celle-ci. Après qu'ils ont lancé la corde, on apprend la venue d'un monstre horrible, Géryon, qui symbolise la fraude.


Chant XVII


« Voici venir la bête à la queue affilée
qui traverse les monts, les murs et les armures
et remplit l'univers de sa mauvaise odeur ! »
C'est ainsi que parla mon guide ; et tout de suite
il fit signe à la bête et la fit aborder
au bout de ces rochers sur lesquels nous marchions.
Le dégoûtant symbole où la fraude est dépeinte
s'en vint toucher au bord de la tête et du buste,
mais sans avoir tiré sur la rive sa queue.
Son visage semblait celui d'un honnête homme,
tant il avait l'aspect bienveillant au-dehors ;
le reste de son corps était comme un dragon.
Il avait les deux pieds velus jusqu'aux aisselles ;
son dos et sa poitrine, ainsi que ses deux flancs,
étaient tout tachetés de noeuds et de rouelles.
Les beaux tapis que font les Turcs et les Tartares,
tramés ou bien brodés des plus belles couleurs,
ou d'Arachné la toile, ont bien moins d'agrément.
Comme on haie parfois la barque sur la rive,
en sorte qu'elle reste à moitié dans les flots,
ou bien comme là-bas, chez les goinfres tudesques,
le castor se prépare à guetter le poisson,
tel l'immonde animal restait à nous attendre
sur le bord dont les rocs entouraient le désert.

3e giron : Les violents contre Dieu 4e et dernière partie : Les usuriers, violents contre l'art puis descente (et arrivée) au 8ecercle
Arrivée de Géryon qui les fera passer au huitième cercle sur son dos, pendant que Virgile s'assure de la bonne volonté de Géryon, Dante descend à la fosse, où se trouvent les usuriers. Ces derniers, ne sont pas cités nominativement, mais en décrivant leurs armoiries ; ils portent des bourses aux couleurs de leurs armoiries autour du cou, et subissent toujours le châtiment des flammes.


Et comme je passais, en regardant leur troupe,
je vis soudain un sac jaune et chargé d'un meuble
d'azur, qui me semblait devoir être un lion.
Puis, promenant ainsi mon regard tout autour,
plus rouge que le sang je vis une autre bourse
où, blanche comme beurre, on pouvait voir une oie.
L'un de ces hommes-là, dont la bourse était blanche
et sur un fond d'azur portait pleine une truie164,
me dit : « Que viens-tu faire ici, dans cette fosse ?
Déguerpis ! Mais apprends, puisque tu vis encore,
que ce Vitalien dont j'étais le voisin165
doit bientôt nous rejoindre et s'asseoir à ma gauche.
Parmi ces Florentins, je suis seul de Padoue ;
et ils m'ont maintes fois rebattu les oreilles,
criant : « Quand viendra-t-il, l'illustre chevalier,
possesseur du sachet qui porte les trois boucs ? »
Lors il tordit la bouche et me tira la langue,
tout à fait comme un boeuf qui lèche ses naseaux.
De peur que mon retard à la longue ne fâche
celui qui m'avait dit de ne pas trop rester,
je rebroussai chemin, laissant ces malheureux.
Je trouvai que mon maître était déjà monté
à cheval sur le dos de l'horrible animal,
et il dit : « Il te faut un coeur bien accroché !
Nous n'aurons désormais que ce genre d'échelles.
Monte devant ; je veux me placer au milieu,
pour l'empêcher de nuire, entre la queue et toi. »
Comme celui qui sent, dans un accès de fièvre,
un frisson qui paraît paralyser les membres
et se met à trembler dès qu'il voit un bout d'ombre,
tel je devins moi-même, en entendant ces mots ;
mais de ma propre honte ayant tiré courage
– car l'exemple du maître oblige le valet —
cherchant un bon endroit sur cette croupe immense,
je voulus prononcer, mais sans me rendre compte
que la voix me manquait : « Tiens-moi bien dans tes bras !
Mais lui, qui tant de fois m'avait si bien aidé
dans des besoins plus forts, sitôt que je m'assis,
il me prit dans ses bras, pour mieux me soutenir,
et il dit : « Géryon, en route maintenant !
Mais descends doucement, et fais les cercles larges :
tu portes, souviens-t'en, un tout autre fardeau ! »
Et comme, en reculant par à-coups, se détache
le navire du bord, tel il partit enfin ;
mais dès qu'il put donner libre cours à son vol,
il ramena la queue où se tenait la tête,
l'étendit et la fit glisser comme une anguille,
pendant qu'il fendait l'air au rythme de ses pattes.
Et je crois que personne au monde n'eut si peur,
ni lorsque Phaéton laissa tomber les rênes,
faisant brûler le Ciel tel qu'on le voit encore168,
ni quand le pauvre Icare aperçut ses deux ailes
se détacher des flancs et fondre avec la cire,
et son père crier : « Tu ne tiens pas le coup ! »
qu'au moment où je vis que je plongeais soudain
dans l'air de toutes parts, et qu'on n'apercevait
plus rien autour de moi, si ce n'était la bête.
Elle ne cessait pas de nager doucement,
tournant et descendant ; je ne m'en rendais compte
que par l'air qui venait d'en face et d'au-dessous.
À ma main droite, en bas, j'entendais la cascade,
faire au-dessous de nous un horrible fracas,
et pour la regarder je voulus me pencher.
Ce fut alors que j'eus bien plus peur de tomber,
car j'aperçus des feux et j'entendis des plaintes
qui me firent trembler et tapir de mon mieux.
Je m'aperçus enfin qu'on descendait en rond
(ce dont je ne pouvais me douter tout d'abord),
rien qu'à voir les tourments qui montaient de partout.
Comme un faucon resté trop longtemps sur ses ailes,
sans avoir vu le leurre ou rapporté de proie,
fait dire au fauconnier : « Hélas, je perds mon temps ! »
et descend mollement, lui qui montait si vite,
faisant de longs détours et se posant bien loin
du maître mécontent, qui se met en colère,
ainsi nous déposa Géryon tout au fond,
exactement au pied de l'abrupte falaise ;
et, sitôt qu'il se vit défait de notre poids,
il partit, plus pressé qu'un trait ne part de l'arc.

Chant XVIII 


Tous les pécheurs d'en bas étaient nus. Ils marchaient
en deçà du milieu, comme à notre rencontre,
et les autres vers eux, mais d'un pas plus pressé.
C'est ainsi que dans Rome, en raison de la presse
pendant le jubilé fut établi cet ordre
suivant lequel les gens doivent passer le pont,
si bien que d'un côté les passants aperçoivent
devant eux le château, comme ils vont vers Saint-Pierre,
et les autres s'en vont tournés vers la montagne.
Sur les mornes rochers on voyait par endroits
certains démons cornus et armés de fouets,
qui frappaient durement les ombres par-derrière.
Comme ils les font jouer sans cesse des talons,
du premier coup, si bien qu'aucune n'attend plus
que le second coup pleuve, et bien moins le troisième !
En cheminant ainsi, mon regard s'arrêta
sur l'un d'eux, et je dis aussitôt en moi-même :
« Cette figure-là n'est certes pas nouvelle ! »
Je suspendis mes pas, pour mieux le reconnaître ;
mon doux guide à son tour s'arrêta pour m'attendre,
me laissant revenir quelques pas en arrière.
Ce flagellé pensait passer sans qu'on le vît,
car il baissait les yeux ; mais cela n'y fit rien,
car je lui dis : « Ô toi, qui regardes à terre,
si quelque faux-semblant ne trompe pas mes sens,
n'es-tu pas Venedic Caccianemico ?
Qui donc t'a préparé des sauces si piquantes ? »
Il dit : « De te parler je n'avais nulle envie ;
mais j'y suis obligé par ton langage clair
qui me fait souvenir du monde d'autrefois.
C'est à cause de moi que Guisolabella
se montra complaisante aux désirs du marquis,
malgré tout ce qu'en dit la honteuse nouvelle.
Je ne suis pas le seul qui pleure en bolonais ;
car cette place en est tellement surpeuplée,
qu'on ne saurait trouver, de Savène à Reno,
de gens disant sipa des foules aussi grandes ;
si tu veux en savoir la preuve ou la raison,
rappelle à ton esprit notre amour de l'argent ! »

8e cercle : Les Trompeurs : Malesfosses. Le 8e cercle est divisé en 10 vallées concentriques justement appelées fosses.1re fosse : Les séducteurs : Dante y découvre deux files de damnés nus, qui avancent vers les deux acolytes, et les autres dans le sens inverse mais plus rapidement, la foule est perpétuellement fouettée par les démons. Dante en les regardant, remarque Caccianemico, un Bolonais qui se serait fait payer par un marquis pour lui remettre sa sœur, qui était déjà promise à un autre ; ainsi il est condamné aux souffrances éternelles. Au même titre queJason qui, après avoir déjà abandonné Médée, abandonne Hypsipyle qui était seule et enceinte, à son triste sort.

Nous gravîmes ses flancs assez facilement
et, ayant pris ensuite à droite sur sa crête,
nous tournâmes le dos à ces rondes sans fin.
Arrivés à l'endroit où le pont fait un creux
pour laisser aux damnés un passage au-dessous,
mon escorte me dit : « Arrête-toi, pour voir
de face le semblant des enfants de malheur
dont tu n'avais pas pu rencontrer le regard,
car leur direction était aussi la nôtre. »
pu haut de ce vieux pont nous regardions la file
nui, de l'autre côté, venait à notre encontre,
poussée également par la peur du fouet.
Avant que j'eusse pu lui parler, le bon maître
me dit : « Regarde donc ce grand-là, qui s'en vient
sans une larme à l'oeil, malgré ce qu'il ressent !
Vois comme son maintien reste toujours royal !
C'est Jason : son courage, ainsi que son astuce,
avait privé Colchos de sa belle toison.
Ensuite il vint passer par l'île de Lemnos,
dont les femmes, au coeur aussi cruel que brave,
avaient déjà donné la mort à tous leurs hommes.
Là, par son bel aspect, par ses discours fleuris,
il séduisit bientôt la trop jeune Hypsiphyle,
qui pourtant avait su tromper toutes les autres176.
Il l'a laissée ensuite, enceinte et esseulée ;
c'est ce qui fait qu'il souffre ici-bas ce tourment,
qui venge en même temps l'abandon de Médée.
Ceux qui vont près de lui faisaient les mêmes crimes.
C'est tout ce que tu dois savoir sur ce giron,
ainsi que sur les gens qu'il presse dans ses flancs. »
Nous parvînmes au point où cet étroit sentier
commence à traverser le deuxième talus
et fait de celui-ci le départ d'une autre arche.
Nous entendîmes là des gens qui gémissaient
au fond de l'autre fosse et bouffaient bruyamment,
en se donnant tout seuls des coups avec les mains.
Les bords étaient poisseux, comme de moisissures,
du souffle qui montait d'en bas et s'y collait,
irritant le regard autant que les narines.
Le fond se trouve loin, et l'oeil n'arrive pas
à bien le distinguer, si ce n'est sur le dos
de l'arc, où le rocher surplombe davantage.
Me plaçant au milieu, je vis dans ce fossé
des tas d'hommes plongeant dans une saleté
telle qu'elle semblait sortir de nos latrines.
2e fosse : Les flatteurs et adulateurs : Ces derniers sont plongés dans une fosse de lie dégoutante et pestilentielle, Dante y reconnaît Alessio Intermini de Lucques, flatteur au possible, et ses mensonges dont il ne s'est jamais lassé l'ont poussé dans cette fosse.

Examinant ainsi de l'oeil ces profondeurs,
j'en vois un dont la tête est si pleine de merde
qu'on ne peut distinguer s'il est clerc ou bien lai.
Il se mit à crier : « D'où te vient l'insolence
de me regarder, moi, plus que d'autres breneux ? »
« C'est que, lui dis-je alors, si ma mémoire est bonne,
j'ai dû te voir ailleurs, mais les cheveux plus secs :
tu fus Alessio Intermini, de Lucques :
c'est pourquoi mes yeux vont vers toi plus que vers d'autres. »
Il dit, en se tapant rudement la caboche :
« Tu vois où m'ont conduit les basses flatteries
que je portais toujours sur le bout de la langue ! »
À quelques pas de là, mon maître dit : « Approche
et tâche de pousser ton regard plus au fond,
car je veux que tes yeux découvrent la figure
de cette vieille carne, immonde et débraillée,
qui d'un ongle merdeux se gratouille tantôt,
tantôt après se couche ou se remet debout :
C'est Thaïs la putain, celle qui répondit,
quand son amant lui dit : « Est-ce que mon cadeau179
eut l'heur d'être à ton goût ? » – « Oui, merveilleusement !
Si tu vois celle-ci, nous aurons assez vu.

Chant XIX 


Ô toi, Simon le Mage, et vous, ses misérables
disciples, qui souillez, avec votre avarice,
pour l'or et pour l'argent, ce qui, n'étant qu'à Dieu,
devrait s'accompagner de vertu seulement,
c'est pour vous maintenant que sonne la trompette,
puisqu'on vous a logés dans la troisième fosse !
Nous venions de passer à la tombe suivante,
et nous étions alors à cet endroit du pont
d'où l'on voit sous les pieds le milieu de la fosse.
Que ton ordre est parfait, souveraine Sagesse,
dans le ciel, sur la terre et au monde mauvais !
Que ton divin décret sait bien faire les choses !
Je vis le rocher gris qui recouvrait les pentes
et le fond du vallon, tout perforé de trous
d'une même grandeur et parfaitement ronds.
Ils ne me semblaient pas plus grands ni plus profonds
que ceux que l'on peut voir dans mon joli Saint-Jean
et qui servent de fonts pour donner le baptême :
un jour, j'avais brisé moi-même un de ces fonts,
pour sauver un enfant qui s'y serait noyé
— et que ceci détrompe qui le pense autrement !
Par la bouche des trous l'on voyait dépasser
les jambes d'un pécheur jusqu'au gras du mollet,
et le reste du corps était plongé dedans.
Les plantes des deux pieds de chacun d'eux brûlaient,
ce qui les obligeait à tordre leurs jointures
si fort, qu'aucun lien n'aurait pu les tenir.
Comme brûle d'en haut la mèche enduite d'huile,
que la flamme paraît ne vouloir qu'effleurer,
telles brûlaient, des doigts jusqu'aux talons, ces plantes.


8e cercle : Les Trompeurs :3e fosse : Les simoniaques (ceux qui ont vendu ou acheté des bénéfices, des faveurs) : Dante et Virgile y rencontrent Simon le Mage, qui malgré ses nombreuses connaissances dans la magie (comme son nom l'indique), a tenté d'acheter le don des miracles aux apôtres. Les damnés sont pendus sur une sorte de table ou de surface plane trouée en forme de cercle, « un livide rocher percé de mille trous » où sont pendus les simoniaques, la tête en bas (pour symboliser leur oubli du ciel et de Dieu) et n'ayant leur corps à l'air qu'à partir des jambes. Ces dernières sont perpétuellement « léchées » par des langues ardentes de feu. Il y en a un qui souffre et se débat plus que les autres : c'est Nicolas III (damné pour avoir abusé des privilèges que lui accordait son titre papal, il ne vendait pas les indulgences mais il faisait profiter tous ses proches des jouissances que lui donnait l'Église), qui prit Dante tout d'abord pour Boniface VIII (Nicolas III a su on ne sait comment que Boniface, damné pour avoir réussi à convaincre son prédécesseur, Célestin V, de se démettre de son manteau papal par des moyens fort peu catholiques, ira le remplacer en Enfer).
Le principe de ce supplice est le suivant : les damnés sont accrochés par les jambes à cette plate-forme et lorsqu'un « successeur » vient aux Enfers, il le remplace ; ainsi s'entassent dans « les fentes du roc » les simoniaques. Nicolas III mentionne également que Boniface ne restera pas longtemps. Un pape encore plus vil prendra bientôt sa place : Clément V, deuxième successeur de Boniface VIII et sujet de Philippe-le-Bel avec qui il envisagea et réussit à détruire les Templiers.
Dante lui répond que malgré le respect ancestral qu'il a envers les papes et les religieux, il méprise la cupidité de ces papes (entre autres) et ajoute que la richesse qu'ils entassent avec avidité attriste les gens et profite seulement aux mauvais.

Chant XX 

Il me faut dire en vers des peines différentes
qui forment l'argument de mon vingtième chant
du poème premier, qui parle des damnés.
Je m'étais bien placé, pour mieux examiner
ce que l'on pouvait voir du fond de ce fossé
qui semblait submergé sous des larmes d'angoisse.
Je vis donc un vallon comme un cercle, où des gens
cheminaient en pleurant silencieusement,
du pas dont parmi nous vont les processions.
Et comme mon regard tombait sur eux à pic,
je vis dans chacun d'eux un changement étrange
à partir du menton jusqu'au bas de leur tronc.
Ils tournaient le regard du côté de leur dos
et, voulant avancer, marchaient à reculons,
puisqu'ils n'auraient pas pu regarder devant eux.
Peut-être sous le coup d'une paralysie
quelqu'un aura pu voir des corps aussi tordus,
mais je ne le crois pas et n'en ai jamais vu.
Lecteur, si Dieu permet que tu tires profit
de ta lecture, pense, en jugeant par toi-même,
si je devais avoir des larmes plein les yeux,
au spectacle voisin de notre propre image
contrefaite à ce point, que les ruisseaux de larmes
qui tombaient de leurs yeux allaient mouiller leurs fesses.

8e cercle : Les Trompeurs :
4e fosse : les devins et sorciers : Dante et Virgile arrivent devant une masse de damnés pleurant. Ils sont affligés d'un terrible torticolis et marchent à l'envers pour l'éternité. Les acolytes aperçoivent Amphiaraos (l'un des rois qui assiégèrent Thèbes, étant devin, il s'était prédit qu'il allait mourir, il chercha donc à fuir de la bataille mais la terre s'ouvrit et l'engloutit à tout jamais) et Tirésias qui put changer de sexe en frappant d'un coup de son bâton deux serpents enlacés ; la fille de ce dernier, Manto, est aussi présente, et en la voyant Virgile conte à Dante l'origine de sa ville : Mantoue. Ils aperçoivent aussi différents astrologues comme Michel Scot ou Bonatti.

Chant XXI 


nous fîmes un arrêt, pour voir de Malefosse
la nouvelle crevasse204 et ses pleurs inutiles.
Elle me paraissait cruellement obscure.
Comme dans l'arsenal de Venise en hiver
les marins font bouillir à flots la poix visqueuse,
afin de radouber leurs bateaux mal en point,
profitant du repos ; et sur ces entrefaites,
l'un va remettre à neuf sa barque, l'autre étoupe
les flancs de cette nef qui vit plus d'une mer,
l'un tape sur la proue et l'autre sur la poupe,
ou fait des avirons, ou rapièce les voiles
d'artimon, de misaine, ou bien tord des cordages ;
ainsi bouillait sans feu, mais par un art divin,
au-dessous de mes pieds, un lac de poix épaisse
qui collait de partout aux pentes du giron.
Je pouvais bien le voir, mais n'observais en lui
que les bulles qu'y forme un grand bouillonnement
qui tour à tour le gonfle et le fait s'affaisser.
J'exerçais mon regard à bien voir ce marais,
quand mon guide se mit à crier : « Gare à toi ! »
et me tira vers lui, de la place où j'étais.

8e cercle : Les Trompeurs :
5e fosse : Les concussionnaires et prévaricateurs (ceux qui ont vendu la justice ou qui ont gravement et volontairement manqué à leur devoir) : En arrivant à la cinquième fosse, Dante s'étonne de la voir plongée dans l'obscurité, il remarque, quelques instants après, une énorme mare de poix bouillante où sont jetés les damnés. Un ange noir arrive avec un malheureux sur son épaule qui pend par les pieds, il est jeté dans la poix (c'est un ancien de Lucques, endroit où : « pour de l'or, tout est blanc ou noir »), il tente de remonter à la surface mais les démons présents le repoussent encore et encore dans la poix en feu. Puis Virgile conseille à Dante de se mettre à l'écart pendant qu'il va s'entretenir avec les démons, ces derniers en le voyant, deviennent très menaçants et fourbes, Virgile les interpelle en disant que l'un d'eux doit écouter ce qui suit et après ils pourront le frapper s'ils le veulent : Un démon nommé Malequeue s'avance et lui demande ce qu'il en est, Virgile lui répond (comme à de nombreuses reprises dans ce livre) qu'il n'irait pas s'aventurer dans les ténèbres s'il n'avait pas été écrit dans le ciel qu'il doit traverser l'Enfer avec une âme encore vivante (Dante donc). À ces mots les démons sont dépités et les laissent partir, en leur donnant en plus une escortes de démons pour le trajet.


Ah ! combien son aspect était épouvantable !
Et comme il paraissait intraitable et cruel !
Qu'il avait le pied leste et l'aile déployée !
Sur son épaule large et finissant en pointe
il portait un pécheur mis à califourchon,
qu'il tenait fortement au tendon des chevilles.
Du haut de notre pont il dit : « Tiens, Malegriffe ! 
Je t'amène un ancien de la sainte Zita :
occupez-vous de lui, car pour moi, je retourne
toujours au même endroit, où ce gibier abonde :
ce sont tous des filous, Bonturo mis à part207 ;
là, pour un peu d'argent, d'un non on fait ita. »
Il le laissa tomber et par la roche abrupte
il rebroussa chemin : jamais mâtin qu'on lâche
n'a couru comme lui sur les pas d'un voleur.
L'esprit fit un plongeon et ressortit en boule ;
mais les diables cachés sous le pont lui crièrent :
« Crois-tu t'agenouiller devant la Sainte Face ?
Tu nageais autrement dans les eaux du Serchio ;
mais, si tu ne veux pas tâter de nos crochets,
ne te montre jamais au-dessus de la poix ! »

Ils le mirent dedans, le lardant de cent coups
et disant : « Si tu veux, danse, mais à couvert !
Extorque, si tu peux, l'argent sans qu'on te voie ! »
Ainsi les maîtres queux obligent les valets
à toujours enfoncer la viande avec les crocs,
l'empêchant de flotter au-dessus des marmites.
Le bon maître me dit : « Il ne faut pas qu'ils voient
que tu viens avec moi : tâche de te tapir
derrière ce rocher, qui te cache aux regards ;
et quoi qu'on puisse dire ou faire contre moi,
toi, ne crains rien pour toi, car je connais l'endroit
et, l'ayant visité, je sais ce qu'en vaut l'aune. »
Puis, ayant dit ces mots, il traversa le pont ;
et sitôt arrivé sur la sixième rive,
il eut vraiment du mal à demeurer serein.
Avec cette fureur, ce même emportement
d'une meute qui saute au dos d'un pauvre vieux,
dès qu'il s'est arrêté pour demander l'aumône,
tous les diables sortis de l'abri du ponceau
retournèrent vers lui leurs crochets d'un seul geste ;
mais il cria : « Qu'aucun d'entre vous ne s'excède !
Avant de me montrer la pointe de vos crocs,
que l'un de vous s'avance et écoute mon dire ;
on pourra m'embrocher ensuite, s'il le faut. »
Ils s'écrièrent tous : « Vas-y, toi, Malequeue ! »

Chant XXII 


J'ai vu des cavaliers lever parfois le camp,
charger dans les combats, marcher dans les parades
ou bien se retirer pour se mettre à l'abri ;
et chez vous, Arétins, j'ai vu des fourragers
battre les champs, ou bien l'escadron défiler,
courir le carrousel, heurter dans les tournois,
au son de quelque cloche ou bien de la trompette,
du tambour ou, parfois, d'un signal du château,
à la mode d'ailleurs ou bien comme chez nous ;
mais je n'ai jamais vu de signal plus étrange
mettre en branle une troupe à cheval ou pédestre,
ou guider quelque nef par la côte ou les astres.
Nous nous mîmes en marche avec les dix démons :
hélas, je le sais bien, l'horrible compagnie !
mais le saint sur l'autel, l'ivrogne au cabaret.
Cependant, je fixais du regard cette poix,
pour mieux examiner ce que contient la fosse
et l'état des esprits que l'on y faisait cuire.
Comme fait le dauphin, alors qu'il fait entendre,
en montrant aux marins la courbe de son dos,
qu'il faut penser à mettre à l'abri leur bateau,
ainsi, de temps en temps, quelque pécheur montrait
un bout du dos à l'air, pour alléger sa peine,
et plongeait aussitôt, plus vite que l'éclair.
Et comme au bord de l'eau qui remplit la rigole,
les museaux à fleur d'eau, se tiennent les grenouilles,
en cachant au-dessous les pattes et le corps,
de même les pécheurs affleuraient de partout ;
et s'ils voyaient venir la troupe du Frisé,
ils piquaient de la tête au fin fond du bouillon.

8e cercle : Les Trompeurs :
5e fosse : Les concussionnaires et prévaricateurs (suite) : Dante en avançant avec les démons, remarque comment certains damnés arrivent à se « jouer » de leur supplice : Ils tentent de laisser leur dos à l'air pour que cette partie, au moins, leur apporte moins de douleur, ou certains autres encore essaient de sortir leur tête lorsqu'ils sont vers le bord, mais tous se cachent dans la poix lorsque vient le chef des démons, mais un malheureux resta trop longtemps à la surface. C'était un certain Janpol de Navarre qui ayant quelques amitiés avec le roi Thibault, ne se géna pas pour vendre à prix d'or les dignités et les emplois du royaume. Janpol se fait écrocher vif par les démons et lorsqu'il dit aux acolytes qu'il pourra faire venir des damnés (étant donné que Virgile, et Dante pendant tout le livre, sollicitent les damnés de leur raconter leurs supplices et la cause de ces derniers) d'un simple sifflement les acolytes acceptent mais se méfie d'une ruse fort habile de l'écorché ; très juste, car au moment où Janpol était censé faire venir ses camarades, il saute (pour se sauver du supplice des démons) l'un d'eux saute aussi mais ne peut le rattraper, suivi par un deuxième démon qui irrité par l'échec du premier, se met à se battre avec lui dans les airs, ils finissent tous deux dans la poix.


Alors Écorchechien, qui passait près de lui,
accrochant le harpon dans ses cheveux poisseux,
le traîna sur la rive, aussi noir qu'une loutre.
Je connaissais déjà les noms de tous les diables,
pour les avoir notés lorsqu'on les désignait,
ainsi que chaque fois qu'ils s'appelaient entre eux.
« Vas-y, Roussard, un peu, tâte-le de la gaffe
et montre-nous un coup comment tu nous l'écorches ! »
dit d'une seule voix cette engeance maudite.
Alors je demandai : « Maître, s'il est possible,
renseigne-toi d'abord, qui fut ce malheureux
qui vint tomber aux mains de ses persécuteurs ? »
Lors, s'approchant de lui, mon maître demanda
quelle était sa patrie, et l'autre répondit :
« J'ai reçu la lumière au règne de Navarre.
Ma mère m'avait fait servir chez un seigneur,
car elle m'avait eu d'un ribaud scélérat
qui se perdit lui-même et toute sa fortune.
Puis, je fus serviteur chez le bon roi Thibaud ;
et là, je m'adonnais au trafic des faveurs,
dont je dois rendre compte ici, dans la fournaise. »
Verraton, dont le mufle avait des deux côtés,
comme un groin de sanglier, de puissantes défenses,
lui fit alors savoir comment l'une déchire.
La souris se trouvait à la merci des chats.
Cependant le Frisé le couvrait de ses bras,
disant : « Laissez-le donc, pendant que je le tiens ! »
Ensuite il se tourna vers mon maître et lui dit :
« Pose tes questions, si tu veux en savoir
encore davantage, avant qu'on le dépèce. »
« Parle-moi, lui dit-il, des autres condamnés :
en sais-tu, sous la poix, qui viennent d'Italie ? »
L'autre lui répondit : « L'instant auparavant,
je viens d'en laisser un, qui venait de par là ;
et je voudrais bien être à couvert, comme lui,
sans être menacé par leurs crocs et leurs griffes. »
« Allons, c'est trop parlé ! » dit alors Noiriquet.
Ce disant, il planta la gaffe dans son bras,
qu'il fendit, emportant tout le gras de la chair.
Dragogrince voulait l'attaquer à son tour
par le bas, au mollet ; mais leur décurion
se retourna vers eux, menaçant du regard.

Chant XXIII 


Si le talus de droite est assez incliné
pour qu'on puisse passer au fond de l'autre fosse,
nous mettrons en défaut la chasse que tu crains. »
Il n'avait pas fini d'expliquer son dessein,
que je les vis venir, les ailes déployées,
et s'approcher de nous, désireux de nous prendre.
Sans plus attendre alors, mon seigneur me saisit
comme fait une mère éveillée aux clameurs
et qui, voyant le feu l'entourer de partout,
prend vite son enfant et fuit sans s'arrêter
(tant elle pense à lui, s'oubliant elle-même)
le temps qu'il lui faudrait pour mettre une chemise ;
et du haut de la côte il se laissa glisser
sur le dos, tout au long de cette pente raide
qui forme comme un mur autour de l'autre fosse.
L'eau ne court pas plus vite au bief du moulin
pour mettre en mouvement les aubes de la roue,
même en tombant à pic d'en haut sur les choiseaux,
que ne glissait mon maître au long de ce talus,
en me portant toujours serré sur sa poitrine,
comme on porte un enfant, non pas un compagnon.
Ses pieds avaient touché le sol du fond à peine,
que les autres déjà se montraient au sommet
juste au-dessus de nous ; mais nous n'avions plus peur,
puisque la Providence, en les fixant là-bas,
à charge de veiller sur la cinquième fosse,
ne leur a pas permis de dépasser ses bornes.
Nous rencontrâmes là2 des gens peinturlurés
qui tournaient lentement en rond, pleurant toujours,
et dont l'aspect disait la morne lassitude.
Ils portaient des manteaux aux cagoules étroites
qui tombaient sur leurs yeux, de la même façon
que ceux qu'on voit porter aux moines de Cluny.
Le dessus des manteaux est couvert d'or qui brille,
mais sa doublure est faite en plomb pesant si lourd
que ceux de Frédéric pèseraient un féru.
Tu fatigues, manteau, pendant l'éternité !
Nous tournâmes encore à gauche et dans leur foule,
prêtant toujours l'oreille à leur triste complainte ;
mais ces infortunés marchaient si lentement,
accablés par leur poids, qu'avançant dans leurs rangs
chaque pas nous faisait de nouveaux compagnons.
Je dis donc à mon chef : « Tâche de découvrir
quelqu'un de plus connu par son nom ou ses faits,
en regardant autour, pendant que nous marchons ! »

8e cercle : Les Trompeurs :6e fosse : Les hypocrites :
Après ce pathétique combat des deux démons, Dante s'inquiète et doute de la bonne foi de ces derniers : D'autant plus qu'ils ont perdu deux de leurs amis… Dante fait part à Virgile de son inquiétude, ce dernier lui répond qu'il est lui aussi inquiet et qu'ils vont bientôt les quitter, en prenant la fuite, à la fin de sa réplique, les démons arrivent pour les attraper. Virgile prend Dante par le bras et ils fuient ensemble vers la sixième fosse, où les démons, serviteurs de la cinquième fosse, ne peuvent entrer.

Une ombre avait compris mon langage toscan,
qui dit derrière nous : « Arrêtez-vous un peu,
vous qui marchez si vite à travers les ténèbres,
car je peux te montrer ce que tu lui demandes. »
Mon guide s'arrêta, disant : « Attendons-le ;
et tâche de régler ta marche sur la sienne ! »
Je vis que deux damnés semblaient avoir envie
d'arriver jusqu'à nous, du moins quant au visage,
car le chemin étroit et leur poids les freinaient.
Arrivés près de nous, ils me considérèrent,
me mesurant de biais d'un coup d'oeil, sans parler,
et s'entre-regardant, ils se dirent ensuite :
« Au rythme de sa gorge on voit qu'il est vivant :
et s'il ne l'était pas, grâce à quel privilège
marche-t-il parmi nous, sans la pesante étole ? »
L'un d'eux me dit ensuite : « Ô Toscan qui nous viens
au sein de ce troupeau de tristes hypocrites,
dis-nous quel est ton nom, nous te prions de grâce. »
« Je suis né, répondis-je, et je fus élevé
dans une grande ville, au bord du bel Arno,
et je possède encor le corps que j'eus toujours.
Mais qui donc êtes-vous, dont je vois la douleur
couler abondamment le long de vos visages ?
Quel est ce châtiment qui resplendit en vous ? »
L'un d'eux me répondit : « Ces beaux manteaux dorés
sont fourrés au-dedans d'un plomb dont le fardeau,
comme tu peux le voir, fait gémir leurs palanches.
Comme Frères Joyeux nous vivions à Bologne ;
Loderingue est son nom, et le mien Catalan ;
et nous fûmes choisis jadis par ta cité,
tous les deux comme un seul, pour y garder la paix ;
si nous l'avons bien fait, on peut en voir les preuves
qui subsistent toujours du côté de Gardingue. »
Alors je voulus dire : « Ô frères, vos mauvais… »
Mais je ne pus finir, car je vis devant moi
un damné mis en croix, par terre, avec trois pals.
À peine m'eut-il vu, qu'il se mit à se tordre
en poussant fortement des soupirs dans sa barbe ;
et Frère Catalan, s'en étant aperçu,
m'expliqua : « Celui-ci, qui reste ainsi cloué,
dit aux Pharisiens qu'il était conseillable
de mettre un homme à mort, pour sauver la cité.
Il gît ainsi, tout nu, de travers sur la route
comme tu viens de voir, et il lui faut sentir
tout le poids des passants qui le foulent aux pieds.
Son beau-père est traité de la même façon
au fond de cette fosse, avec tout le concile
qui sema pour les Juifs la mauvaise semence. »
Alors je vis Virgile étrangement surpris
de trouver celui-là, tendu les bras en croix,
à ce point avili dans l'exil éternel.

Les acolytes aperçoivent un cortège de nombreuses âmes portant de longues robes qui de l'extérieur, semblaient d'or, mais à l'intérieur étaient formées d'une épaisse et terriblement lourde couche de plomb. Comme à leur habitude, Virgile et Dante demandent aux damnés de leur conter leur histoire, deux hommes s'approchent lourdement (étant donné leur charge) ce sont les frères joyeux (des religieux censés apaiser les souffrances des faibles et restaurer un certain ordre public au lieu de ça, et d'où leur nom ils s'amusaient à des plaisirs divers et variés…) qui ont été par la suite élus magistrats suprêmes par la république et bien qu'ils furent de factions ennemies, ils s'unirent, corrompus à chasser les Gibelins de Florence. Dante y rencontre aussi Caïphe, crucifié (le grand-prêtre qui conseilla la mort du Christ, car avait-il dit : « Il vaut mieux que l'un meure pour tous plutôt que tous pour un »).

Ensuite il se tourna vers le Frère et lui dit :
« Si jamais vous pouvez, dites-nous donc, de grâce,
trouve-t-on un passage, en allant vers la droite,
qui nous fasse sortir hors d'ici tous les deux,
sans avoir à contraindre aucun des anges noirs
à venir nous tirer du fond de ce giron ? »
Il répondit alors : « Tu verras la jetée
plus près que tu ne crois, qui, partant du grand cercle,
traverse tour à tour ces sauvages vallées,
sauf la nôtre, où jadis le pont s'est effondré.
Cependant, vous pourrez monter sur sa ruine,
qui sur la côte est basse, et s'élève au milieu. »225
Mon guide méditait, la tête un peu baissée.
« L'autre, dit-il enfin, qui là-bas, de sa gaffe,
fait la pêche aux pécheurs, nous contait mal l'affaire.
« À Bologne, jadis, je m'étais laissé dire,
fit le Frère Joyeux, beaucoup de mal du diable,
surtout qu'il est trompeur et père du mensonge. »
Mon guide s'éloigna de ces lieux à grands pas ;
il semblait inquiet et le regard revêche ;
et, quittant aussitôt ces porteurs de fardeaux,
je suivis en courant ses plantes bien-aimées.

Chant XXIV 

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J'apercevais leurs mains dans le dos attachées
par des nœuds de serpents, dont la tête et la queue
leur pendaient sur les reins ou se croisaient devant.

Un serpent s'approcha d'un d'eux, qui se trouvait
juste au-dessous de nous, et le mordit soudain
à l'endroit où le cou se joint avec l'épaule.

On ne saurait écrire un i plus vite, ou l’o
que je le vis brûler des pieds jusqu'à la tête,
et instantanément il fut réduit en cendre.

Et cette même cendre était tombée à peine,
qu'elle se regroupa par sa propre vertu
et devint tout à coup ce qu'elle avait été.

C'est de cette façon que, suivant les grands sages,
le Phénix disparaît et ressuscite ensuite,
lorsqu'il vient d'accomplir sa cinq centième année :

il n'entretient ses jours ni d'herbe ni de grains,
mais seulement d'amome et de larmes d'encens,
et la myrrhe et le nard sont ses dernières langes

Comme celui qui tombe et ne sait pas comment,
soit que quelque démon lui fasse un croc-en-jambe
ou qu'il soit terrassé par des convulsions,

et qui, se relevant, regarde autour de lui
et, encore hébété par cette grande crise
qu'il vient de traverser, se tâte en soupirant,

tel était ce pécheur qui venait de surgir.
La divine puissance est pour nous bien sévère,
qui décharge des coups si durs, pour nous punir !

8e cercle : Les Trompeurs :7e fosse : Les voleurs : Le début du chant nous conte le difficile passage à la 7e fosse et la lassitude de Dante, qui commence à fatiguer. Virgile d'un discours, le galvanise et ils reprennent leur route vers la fosse ; qui était remplie de serpents de toutes sortes, fourmillant dans la cavité et harcelant les damnés qui, n'ayant aucun refuge dans cette triste fosse, courent épouvantés et assaillis par les reptiles.
Les serpents, lorsqu'ils touchent et enveniment une victime, cette dernière, aussitôt s'enflamme et se réduit en cendres, mais de celle-ci renaît, comme le phénix, le damné, inexorablement. Il se relève, pris par la confusion, regarde et soupire, Virgile lui demande son nom, c'est Vanni Fucci, qui a volé de nombreux ornements de l'Église et qui accusa à tort des innocents, ces derniers furent pendus. À la fin du chant, Fucci prédit (une fois de plus) le prochain exil de Dante et la défaite des Blancs, ce qui révolutionna Florence à cette époque.

Chant XXV 

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Là-haut, du flanc du mont jaillit un mur de flammes ;
mais la corniche lance un souffle dans les airs,
qui les rabat et fraie un couloir de passage.

Nous fûmes obligés de passer à la file
par ce dégagement ; j’avais bien peur du feu
d’une part, et de l’autre un ravin me guettait.

Mon guide me disait : « C’est ici qu’il te faut
une vue assez prompte à te bien seconder,
car il te suffirait d’un seul pas pour tout perdre. »


8e cercle : Les Trompeurs :
7e fosse : Les voleurs (suite) : À la fin de son discours Fucci lève les mains au ciel et défie Dieu en le blasphémant, aussitôt s'enroule autour de son cou un serpent, puis un autre qui lui lia les bras, ainsi privé de la parole et de ses bras, il s'enfuit en courant. Peu après arrive un centaure en colère qui demanda où était passé le blasphémateur, le centaure en question est Cacus, qui, comme nous le conte Virgile, après avoir délaissé Hercule, fit couler beaucoup de sang, il s'enfuit à la recherche de Fucci. Ensuite apparaissent trois esprits, soudain l'un d'eux se fait encercler par un énorme serpent qui, pareil à du lierre se cramponne à lui des pieds à la tête, il le mord et lui transperce les deux joues, ils étaient si liés que l'on ne pouvait distinguer l'un ou l'autre lors de l'étreinte, si bien que finalement, les deux têtes ne formaient plus qu'une, le damné, ainsi défiguré, partit lui aussi. L'un des deux autres restants se fait attaquer par un serpent de feu au nombril, et lui aussi se retrouve transformé en serpent.

Chant XXVI 

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Pareil au montagnard qui se trouble, ahuri,
et regarde partout, lorsqu’il descend en ville
de son hameau sauvage, et ne peut dire un mot,

tel me parut alors l’aspect de ces esprits ;
mais, ayant quelque peu secoué leur stupeur,
qui ne dure jamais dans les âmes bien nées,

celui qui tout d’abord m’avait parlé me dit :
« Que tu peux être heureux, toi qui dans nos provinces
t’en viens pour tout savoir de l’art de bien mourir !

La foule qui s’éloigne a commis autrefois
le péché pour lequel César, dans son triomphe


8e cercle : Les Trompeurs :
8e fosse : Les mauvais conseillers : Dans le supplice du feu infligé pour ces damnés, Dante et Virgile reconnaissent Ulysse et Diomède, Dante supplie Virgile de pouvoir aller les interroger, Virgile lui répond que oui mais ce sera lui-même qui les interrogera, car il craint que les Grecs ne « méprisent » le langage de Dante. Le couple passant près d'eux, Virgile les interpelle : Ulysse nous explique que bien que lui et ses compagnons fussent vieux ils se lancèrent dans une dernière croisade à l'ouest, et lorsqu'ils virent une titanesque montagne s'élevant vers le ciel (le Purgatoire) Ulysse galvanisa ses troupes pour un dernier voyage, mais étant donné que nul humain ne peut arriver au Purgatoire vivant, la mer se déchaîna et engloutit leur bateau.

Chant XXVII 


À l’heure où le soleil darde ses premiers rais
à l’endroit où coula le sang de son auteur,
où l’Èbre se retrouve en bas de la Balance,

et du Gange les flots s’échauffent sous la none ;
bref, la lumière était en train de décliner,
lorsque l’ange de Dieu apparut dans sa joie.

Il se tenait au bord du feu, sur la montée,
en chantant Beati mundo corde, et sa voix
vibrait plus puissamment que la voix des humains.

« On ne dépasse pas cet endroit, âmes saintes,
sans que le feu vous morde ; entrez donc dans les flammes
et ne restez pas sourds au chant qui vient de là ! »

8e cercle : Les Trompeurs :
8e fosse : Les mauvais conseillers (suite) : Les acolytes après s'être entretenus avec Ulysse rencontrent encore un autre personnage incandescent : Guido de Montefeltro, qui était un politicien très habile à l'époque, et lorsqu'il décida de se retirer et de se faire moine, Boniface VII vient à lui pour lui demander un conseil, Guido tenta de refuser mais le pape lui promit alors les clés du paradis s'il lui donnait conseil, alors il accepta et son conseil eut des répercussions terribles sur de nombreux innocents, et lorsque Guido s'éteignit, Saint-François d'Assise lui même vient le chercher, mais un noir démon le réclama en citant le conseil mal avisé qu'il avait donné à Boniface, il fut emporté aux Enfers.


Chant XXVIII 

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Les sources que l’on tient chez nous pour plus limpides
sembleraient contenir quelque mélange impur
au prix de celle-ci, tant elle est transparente,

quoique à la vérité son cours se glisse, obscur,
sous l’ombre permanente et qui ne laisse pas
pénétrer jusqu’à lui la lune ou le soleil.

Me voyant arrêté, je passai du regard
au-delà du ruisseau, pensant y contempler
l’émail bariolé de tout ce frais printemps,

et j’aperçus alors, comme l’on voit parfois
des objets qui nous font comme par un miracle
oublier tout à coup tous nos autres pensers,

8e cercle : Les Trompeurs :9e fosse : Ceux qui par leurs opinions et les mauvais conseils ont divisé les hommes, les semeurs de trouble : La fosse est remplie de damnés mutilés, ils sont coupés en deux à la verticale « de la gorge à la ceinture », leurs boyaux pendent et tombent à terre, et lorsque leurs blessures sont cicatrisées, tour à tour les damnés se font rouvrir le corps avec un glaive. On y trouve l'abbé Dolcin, qui, persécuté par son évêque, décida de fuir dans les montagnes, avec cinq mille des siens afin d'inventer sa propre doctrine, Clément V lança une attaque contre lui et le fit brûler, mais si Dolcin et ses acolytes n'avaient pas manqué de vivres dans le froid et la neige, Clément V aurait été bredouille, car entre-temps Dolcin avait bien fortifié et affirmé son territoire.
Ici prend place aussi la rencontre avec Mahomet, condamné à avoir le ventre coupé pour avoir été un « semeur de scandale et de schisme ». Ali a le visage fendu de part en part.
On mentionne également Pierre de Médecine, qui s'étant octroyé les amitiés des princes et des rois, ne s'en servit seulement pour les brouiller ensemble. On voit aussi le cher Mosca (que Dante voulait déjà voir au Chant VI) qui, lui eut les mains coupées ; on apprend que ce fut lui l'élément déclencheur de toutes les guerres internes de Florence, en 1215 il n'y avait encore ni Guelfes, ni Gibelins, mais il y avait quelques rivalités familiales dans la ville. Un jeune Buondelmonte (l'une des familles de l'époque) devait se marier avec une fille des Amidei, mais il rompit les fiançailles en s'éprenant d'une autre fille appartenant à une famille adverse des Amidei (les Donati) ; les Amidei firent conseil avec leurs amis les Uberti, chefs de la noblesse féodale. Et pendant qu'ils réfléchissaient à punir correctement et en public, le jeune Buondelmonte, Mosca protesta et dit que lorsqu'on veut frapper quelqu'un, on ne le blesse pas, on le tue. Il ajouta encore « Ce qui est fait est fait ». Le pauvre Buondelmonte fut massacré et on affirme que cet assassinat divisa définitivement Florence en deux factions : les partisans de Buondelmonte et des Donati que l'on a appelé Guelfes et les autres, les partisans des Amidei et des Uberti, qu'on nomma les Gibelins.
Leur dernière rencontre raconte l'histoire de Bertrand de Born, conseiller du Prince Jean, lui-même fils d'Henri II d'Angleterre, ce dernier l'avait placé près de son fils pour le modérer un peu (car Jean dépensait des sommes colossales sans aucun scrupule), et son sinistre conseiller au lieu de faire de qu'il devait, conforta le prince dans son indépendance, jusqu’à ce que le roi et Jean se fâchèrent et en viennent aux mains, Jean fut mortellement blessé, et pour avoir ainsi divisé un père et son fils, et d'avoir semé la discorde, Bertrand de Born se retrouva, en enfer, la tête tranchée qu'il tient par les cheveux comme une lanterne qu'il agite.
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L’eau mettait entre nous l’espace de trois pas ;
et pourtant l’Hellespont, qu’a traversé Xerxès,
mettant un frein qui dure à l’orgueil des humains,

ne dut pas être autant abhorré de Léandre,
pour barrer le chemin d’Abydos à Sestos,
que ce ruisseau de moi, pour ne pas s’être ouvert.

« Vous venez d’arriver ; et voyant que je ris,
commença-t-elle alors, dans cet endroit élu
pour être le berceau de la nature humaine,

peut-être éprouvez-vous quelque surprise ou doute ;
mais le psaume qui dit Delectasti contient

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De ce côté, son nom est Léthé ; quant à l’autre,
on l’appelle Eunoé ; mais sa vertu n’opère
qu’après qu’on a goûté l’eau de chacun des deux.

Leur exquise saveur n’est à nulle pareille.
Mais, quoique de ta soif tu puisses te défaire
avant qu’il soit besoin d’en savoir davantage,

je t’offre un corollaire outre ce que j’ai dit,
dans l’espoir que mon dire aura l’heur de te plaire,
même si je l’allonge plus que je n’ai promis.

Tous ceux qui dans leurs vers chantaient au temps
le souvenir heureux de l’âge d’or, sans doute [jadis
au Parnasse ont rêvé de l’endroit que tu vois.

La souche des humains y vécut innocente ;
un éternel printemps y porte tous les fruits ;
et voici le nectar dont on a tant parlé. »

Alors je retournai du côté des poètes
tout le poids de mon corps, et les vis écouter
avec contentement ces dernières paroles ;

puis mon regard revint chercher la belle dame.

ChantXXIX 

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Le septuple étendard s’étalait par-derrière,
plus loin que le regard ; ceux des bords se trouvaient,
si je calcule bien, à dix pas de distance.

C’est sous un ciel plus beau que je ne saurais dire
que vingt-quatre vieillards s’avançaient, deux par deux,
qui portaient sur leurs fronts des couronnes de lis.

Ils chantaient tous en chœur : « Entre toutes les filles
d’Adam sois à jamais bénie ; et que bénie,
soit aussi ta beauté pendant l’éternité ! »

Et lorsque enfin les fleurs et l’herbe fraîche et tendre
qui recouvraient le sol sur la rive opposée
cessèrent de sentir les pas de ces élus,

tout comme sur le ciel une étoile suit l’autre,
je vis quatre animaux paraissant à leur suite
tous quatre enguirlandés de franges de feuillage.

Chacun était pourvu de six ailes pennées,
les plumes peintes d’yeux qui paraîtraient sans doute
pareils aux yeux d’Argos, si celui-ci vivait.

8e cercle : Les Trompeurs :9e et 10e fosse : Fin des semeurs de trouble et les charlatans et faussaires : Dante, au début du récit est très affecté par ce qu'il vient de voir, on le comprend mieux lorsqu'on apprend qu'il a reconnu dans la fosse l'un des membres de sa famille : Geri le Bel (il vivait en 1269), qui semait tellement le trouble qu'il a été tué par l'un des Sachetti, trente ans après un autre des 
venga le meurtre etc. Ceci continua jusqu'en 1342 lorsque le duc d'Athènes (magistrat de Florence à l'époque) s'entremit pour enfin laisser place à la paix entre la famille de Dante et les Sachetti.
I : Les alchimistes : Dante et Virgile arrivent à la dernière fosse, d'où sortent des cris immondes et insupportables, une odeur pestilentielle s'en dégage, comme font les corps gangrenés. Et, effectivement, ils semblent tous être atteints de la lèpre, les acolytes arrivent devant deux damnés assis, qui se grattent sans cesse, pour faire disparaître l'horrible croûte qui les recouvre, en vain. Ils y rencontrent Griffolino, alchimiste et faux monnayeur, qui fut dénoncé et envoyé au bucher. Dante retrouve aussi Capocchio, un camarade d'étude de Dante qui se plaisait, non seulement à contrefaire et à méprendre toutes sortes de personnes, et à entreprendre des recherches sur la pierre philosophale, ce qui lui valut le bûcher.
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À côté de la roue à droite étaient trois femmes
qui venaient en dansant en rond ; l’une était rouge,
si bien qu’on ne l’eût pu distinguer dans le feu.

On eût facilement de la seconde femme
pris la chair et les os pour autant d’émeraudes ;
l’autre avait la couleur de la neige qui tombe.

Elles semblaient tantôt conduites par la blanche
et tantôt par la rouge, et leurs pas lents ou vifs
paraissaient mesurés au rythme de leur chant.

À gauche, également, dansaient quatre autres femmes
dans leurs habits de pourpre, et suivaient la mesure
de l’une, dont la tête avait au front trois yeux.

À la suite du groupe ainsi décrit par moi
cheminaient deux vieillards aux habits dissemblables,
mais respirant la même honnête fermeté.

L’un d’eux appartenait sans doute à la famille
de ce grand Hippocrate, offert par la nature
à tous ceux qui lui sont les plus chers, comme un don ;

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Ils portaient tous les sept les mêmes vêtementsdu groupe des premiers, mais autour de leurs frontsils n’avaient pas, comme eux, des couronnes de lis, mais de rosés de sang et d’autres fleurs pareilles ;et à les voir de loin on aurait pu jurerque leur tête était flamme à partir du sourcil. Quand le char arriva juste en face de moi,on entendit gronder le tonnerre, et ces gens,comme s’il eût été défendu d’avancer, s’arrêtèrent soudain, avec tous leurs drapeaux.

Chant XXX 

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Benedictus, disaient tous en chœur, qui venis,
et Manibus date lilia plenis d’autres,
tout en faisant pleuvoir les fleurs de toutes parts.

J’ai déjà vu parfois, à la pointe du jour,
les bords de l’Orient se baignant dans les rosés
et le reste du ciel dans l’azur le plus pur ;

et j’ai vu le soleil se lever dans des voiles
si bien que, les vapeurs modérant son éclat,
l’œil pouvait soutenir longuement sa lumière.

Telle, parmi les fleurs tombant comme une nue
qui prenait sa naissance entre les doigts des anges
et pleuvait tout autour et au-dessus du char,

le front ceint d’olivier sous un voile candide,
une dame apparut, qui, sous un vert manteau,
portaient des vêtements couleur de flamme vive.

Et soudain mon esprit, qui depuis trop longtemps
s’était vu maintenir si loin de sa présence
qu’il avait oublié la surprise et la peur,

sans avoir eu besoin de la voir davantage,
par la vertu secrète émanant de ses yeux,
retombait en pouvoir de son ancien amour.
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8e cercle : Les Trompeurs :10e fosse : Les charlatans et faussaires (suite) :
II : Simulateurs : On y rencontre Gianni Schicchi, qui s'était fait passer pour Bose Donati (mort sans avoir fait de testament), il s'enfila dans son lit de mort afin de donner à Simon (son parent), son riche héritage. Pour remercier Schicchi, Simon lui donna une magnifique jument.
III : Faux monnayeurs : Maître Adam, qui falsifia les florins pour les comtes de Romène, et pour son propre profit, il fut découvert et brûlé.
IV : Menteurs : Sinon (espion grec de la guerre de Troie, c'est lui qui convainquit les Troyens d'accepter le cheval) et Putiphar qui tenta de séduire Joseph, et l'envoya en prison.

Chant XXXI 

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Elles dirent alors : « Ouvre bien grands les yeux !
Voici, nous t’avons mis devant les émeraudes
d’où l’Amour t’a déjà décoché de ses flèches ! »

Un millier de désirs plus brûlants que la flamme
attachèrent mes yeux aux yeux resplendissants
qui demeuraient toujours fixés sur le griffon.

Et comme le miroir réfléchit le soleil,
tel le double animal rayonnait dans ces yeux
et montrait tour à tour l’une et l’autre nature.

Lecteur, tu peux penser si j’étais étonné
de voir un tel objet, immobile en lui-même,
et dont, pourtant, l’image ainsi se transformait.

Alors, tandis que plein de stupeur et de joie,
mon esprit savourait le céleste aliment
qui peut rassasier sans jamais fatiguer,

soudain les autres trois s’avancèrent vers nous,
montrant par leur maintien leur plus grande noblesse
et dansant aux accords de leur céleste chant.

« Tourne ton saint regard, tourne-le, Béatrice
(c’est ainsi que disait leur chant), vers ton fidèle
qui, pour te retrouver, fit un si long voyage !

Fais-nous la grâce aussi de vouloir dévoiler
ton sourire pour lui, afin qu’il y contemple

Du 8e cercle au 9e : Les géants autour du puits : Les acolytes rencontrent des géants, ceinturés par le puits, il leur arrive à la taille, la moitié supérieure de leur corps est dehors tandis que l'autre est dans le puits. Ils mentionnent Nemrod, premier roi de Babylone, on apprend que c'est lui qui conçut le projet de la tour de Babel. Ils rencontrent aussi Éphialtès, fils de Poséidon et d'Iphimédie, puis Antée (l'unique géant à ne pas s'être retourné contre les dieux) qui les aidera à atteindre le neuvième cercle.
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Splendeur de l’éternelle et vivante lumière,
qui donc pâlit assez à l’ombre du Parnasse,
qui donc se soûle assez de l’eau de ta fontaine,

pour qu’on ne pense pas qu’il a perdu l’esprit,
s’il prétend te montrer telle que tu parus,
à l’endroit où les chœurs du Ciel te font un cadre,

lorsque tu découvris ton visage au grand jour ?

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Chant XXXII 

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« Deux, venerunt gentes » commencèrent les dames,
chantant tantôt à trois, tantôt à quatre voix
et alternant en pleurs la douce psalmodie.

Béatrice, pieuse et soupirant aussi,
semblait les écouter, tellement altérée
que l’on eût dit Marie à côté de la croix.

Sitôt le chant fini, dès que les autres vierges
la laissèrent parler, elle leur répondit,
se dressant tout debout, rouge comme le feu :

« Modicum et non videbitis me ;
et iterum, vous dis-je, ô mes sœurs bien-aimées,
modicum et vos videbitis me. »

Ensuite elle les mit toutes sept devant elle
et nous plaça d’un signe à sa suite, en partant,
le sage qui restait et la dame et moi-même.

Elle se mit en marche ; et je ne pense pas
qu’elle eut plus de dix fois touché du pied la terre,
que soudain son regard vint rencontrer le mien

et, pleine de douceur : « Viens plus vite ! dit-elle ;
pour me bien écouter, si pendant notre marche
je voulais te parler, reste plus près de moi ! »

Lorsque je fus près d’elle, ainsi qu’il convenait,
elle me dit : « Pourquoi n’oses-tu pas, mon frère,
pendant que nous marchons, m’exposer tes problèmes ? »

Je me sentis alors comme ceux qui se trouvent
devant de plus grands qu’eux, lorsque, voulant parler,
leur voix n’arrive plus vivante jusqu’aux dents,

et, trop intimidé, je lui dis d’une voix
étranglée à demi : « Ma dame, vous savez
quelle est mon indigence et ce qui lui convient. »

Elle me dit : « Je veux que désormais tes craintes
et ta timidité soient à jamais bannies :
cesse donc de parler comme un homme qui dort !

Il fut, mais il n’est plus, ce char que le dragon
brisait ; que les fauteurs le sachent cependant,
la vengeance de Dieu n’a pas peur de la soupe

Il ne restera pas toujours sans héritier,
l’aigle qui dut laisser ses plumes sur le char,
le transformant en monstre et ensuite en rapine,

car je vois clairement (c’est pourquoi je l’annonce)
des astres s’approcher, libres de toute entrave
et de tout autre obstacle, et préparer le temps

où Cinq Cent Dix et Cinq, envoyé sur la terre
par Dieu, viendra pour mettre à mort la courtisane,
ainsi que le géant qui fornique avec elle.

Sans doute, mon récit te semble plus obscur
que Thémis et le Sphinx, et ne te convainc pas,
parce que, tout comme eux, il blesse l’intellect ;

mais les événements seront les Laïades
qui fourniront la clef de cette énigme ardue,
sans qu’en doivent souffrir les moissons ou les bêtes.

Toi, retiens tout ceci ; telles que je les dis,
ces paroles, dis-les à ceux qui là-bas vivent
ce qu’ils croient vie, et n’est qu’une course à la mort.

Quand tu raconteras ceci, rappelle-toi,
ne dissimule pas le pitoyable état
où tu vis l’arbrisseau par deux fois saccagé.

Quiconque le dépouille ou lui fait du dégât
est coupable envers Dieu d’offense et de blasphème,
puisque, s’il l’a fait saint, c’est pour son seul usage.

Et pour l’avoir touché, la première des âmes
implora cinq mille ans et plus, parmi les peines,
Celui qui vint venger la morsure en lui-même.

Et ton esprit s’endort, s’il ne veut pas comprendre
que, si la plante est haute et s’évase au sommet,
ce n’est pas un hasard, mais un dessein du Ciel.

Et si de vains pensers n’avaient été pour toi
comme les eaux de l’Else, et pareils à Pyrame
noircissant le mûrier, chacun de tes plaisirs,

rien qu’à considérer toutes ces circonstances
sans doute verrais-tu dans l’interdit de l’arbre
la justice de Dieu qui s’applique au moral.

Je remarque pourtant que ton intelligence
s’est transformée en roc si noir et si compact,
que l’éclat de mon dire a l’air de t’éblouir.

Il te le faut porter en toi, sinon écrit,
du moins représenté, de la même manière
que porte un pèlerin le bourdon ceint de palmes. »

Je dis : « Comme la cire où l’on a mis le sceau
ne change plus jamais l’empreinte qu’on lui donne,
mon cerveau maintenant reste marqué par vous.

Mais pourquoi vos propos longuement désirés
s’envolent-ils si haut au-dessus de ma vue,
que plus je fais d’efforts, et moins je les atteins ? »

« Pour mieux te rappeler, dit-elle, cette école
dont tu sais les leçons, et mieux te faire voir
que son enseignement ne suit pas ma parole ;

que tu saches aussi que du chemin de Dieu
au vôtre, la distance est plus grande que celle
qui s’étend de la terre à la plus haute sphère. »

Je répondis alors : « Je ne me souviens pas
d’avoir jamais pensé de façon différente,
et je ne me sens pas remordre la conscience. »

« Mais si tu ne peux pas en avoir souvenir,
dit-elle en souriant, tu dois te rappeler
que tu viens de goûter les ondes du Léthé ;

et si par la fumée on devine le feu,
cet oubli montre assez que tu commis la faute
d’avoir voulu porter ton appétit ailleurs.

Dorénavant, pourtant, je n’envelopperai
de voiles mes propos, qu’autant qu’il conviendra
pour que ta courte vue y puisse pénétrer. »

Cependant, plus brillant, d’une marche plus lente,
le soleil occupait le cercle de midi,
qui selon les endroits peut varier sa place,

quand, comme un éclaireur qui va devant la troupe
s’arrête, s’il découvre ou simplement soupçonne
quelque chose d’étrange en chemin, les sept dames
s’arrêtèrent au bord d’une petite ombrée,
comme les frais ruisseaux en forment dans les Alpes
sous le feuillage vert et sous les noirs rameaux.

Au-devant j’ai cru voir le Tigre avec l’Euphrate
qui sortaient tous les deux d’une même fontaine
et comme deux amis se quittaient à regret.

« Ô toi, gloire et splendeur de notre race humaine,
quel est donc ce ruisseau qui se divise ici
d’un seul commencement, s’éloignant de lui-même ? »

J’obtins comme réponse à cette question :
« Demande à Matelda qu’elle t’explique ! » Alors,
comme celle qui cherche à se justifier,

la belle dame dit : « Il s’était fait déjà
expliquer ce détail, avec d’autres encore
que les eaux du Léthé ne peuvent effacer. »

« Peut-être un soin plus grand, répondit Béatrice,
qui semble quelquefois nous priver de mémoire,
obscurcit le regard de son intelligence.

Mais voici l’Eunoé, qui coule par là-bas :
conduis-le vers ses eaux et, selon l’habitude
que tu connais, rends-lui sa vertu défaillante ! »

Et comme un cœur bien né qui, sans chercher d’excuse,
fait son propre désir du désir du prochain
sitôt qu’il s’est traduit par un signe quelconque,

telle la belle dame, ayant saisi ma main,
se mit en marche et dit, en se tournant vers Stace
d’un geste gracieux : « Viens, accompagne-le ! »

Lecteur, si je pouvais disposer de l’espace,
je dirais quelques mots pour chanter ce breuvage
dont je ne me serais jamais rassasié.

Mais puisque les feuillets que j’avais consacrés
à ce second cantique ont été tous remplis,
le frein de l’art me dit que je dois m’arrêter.

Ensuite je revins de cette onde sacrée,
régénéré, pareil à la plante nouvelle
qu’un feuillage nouveau vient de renouveler,

pur enfin, et tout prêt à monter aux étoiles.

9e cercle : Les traitres : Le marais glacé de CocyteI : La Caïnie : Traitres à leurs parents : On découvre dans ce chant, un énorme lac gelé, qui ressemble plus à du verre qu'à de la glace. Les damnés sont prisonniers à l'intérieur de la glace jusqu'au cou, ils ont le visage baissé les dents claquetantes, leur souffle et leurs larmes témoignent bien assez du supplice qu'ils éprouvent ; en plus le fait d'être la tête baissée leur donne encore plus de douleur lorsqu'ils pleurent car les larmes qu'ils versent se gèlent sur leurs joues et leurs paupières... Dante et Virgile rencontrent Alexandre et Napoléon de Alberti, tous deux comtes et seigneurs, lors de la mort de leur père, ils se lancèrent dans une force et avide bataille envers leurs vassaux et pillèrent tout, puis ils s'entretuèrent tous deux. Ce qui leur a valu cette place ici où ils s'étreignent éternellement dans un combat sans fin. Ils remarquent aussi Vanni de Cancellieri, qui par traîtrise tua son oncle.
II : L'Anténore : Traitres à leur cité : Buoso de Duera : Il était chargé par les Gibelins de barrer le passage de Charles Ier d'Anjou mais Buoso accepta que le roi lui donne de l'argent pour qu'il puisse passer sans crainte ; et d'autres traîtres notoires, comme Tebaldello de Zambrasi qui céda l'une des portes de la ville de Faënza aux Guelfes et surtout un dénommé Bocca, Florentin de la famille des Abatti. Dans la bataille de Montaperti, (où quatre mille Guelfes furent massacrés, Bocca, gagné par l'argent des Gibelins, s'approcha de celui qui portait l'étendard et lui trancha la main ; les Guelfes, ne voyant plus leur étendard, se mirent en fuite et furent massacrés.
Dante à la fin du chant, remarque deux damnés dont l'un est un peu plus haut que l'autre, ainsi les deux têtes des damnés sont superposées, on remarque que celui qui à le dessus est en train de dévorer l'autre.

Chant XXXIII 



9e cercle : Les traîtres (suite) :II : L'Anténore : Traîtres à leur cité (fin) : Le comte Ugolin raconte son histoire à Dante ; on sait donc que celui qui dévorait la tête inférieure est le comte Ugolin et que l'autre est l'archevêque Roger. Le comte Ugolin s'est retrouvé là car il avait été accusé de trahison pour avoir vendu des châteaux aux factions adverses, et l'archevêque, pour avoir ignoblement enfermé le comte et ses fils dans la Tour de la Faim et le poussant presque à les dévorer il fut aussi condamné à ce châtiment de se faire dévorer par sa victime.

III : La Ptolémaïe : Traitres à leurs hôtes : Frère Albéric (l'un des frères joyeux), les traîtres à leurs hôtes sont aussi emprisonnés dans les glaces, mais cette fois la position de leur tête est différente : Ils ont la tête renversée, ainsi les larmes qui coulent de leurs yeux forment une barrière de cristal qui les aveugle et leur cause des souffrances inimaginables. Et le Frère Albéric s'était brouillé avec ses confrères depuis un moment, et voulant mimer la réconciliation il les invita tous pour un grand repas, ils mangèrent et lorsque Albéric demanda à ce qu'on apporte les fruits (c'était le signal), ses invités furent massacrés égorgés. Et notamment Branca d'Oria, qui jalousant la seigneurie de son beau-père l'invita à diner et le tua, son beau-père était Michel Zanche, qui se trouve au 8e cercle, cinquième fosse, on dit qu'à sa mort, Branca descendit plus vite aux Enfers que le malheureux qu'il avait assassiné.

Chant XXXIV 



9e cercle : Les traitres (suite et fin) :
IV : La Judaïe : Traîtres à leur bienfaiteur : Dernier chant où Dante rencontre Lucifer, Dité, au milieu d'un endroit où tout est silencieux et où les autres damnés sont entièrement ensevelis sous la glace et souffrent en silence. Dité a trois paires d'ailes ainsi que trois têtes et donc trois visages, le premier visage est rouge de feu (représentant la haine), l'autre est livide (représentant l'impuissance), et le troisième est noir (représentant l'ignorance). Emprisonné dans la glace jusqu’à la poitrine, il bat éternellement des ailes pour tenter de se libérer, produisant ainsi des vents glacials qui maintiennent le Cocyte gelé. Les trois têtes mâchent éternellement les trois coupables : Judas (qui a trahi le Christ), Cassius et Brutus (traitres à César). Dante et Virgile sortent en s'accrochant aux poils de Lucifer et, après une petite explication de Virgile sur la manière dont ils sont sortis des Enfers, les deux acolytes, finalement, peuvent enfin « revoir les étoiles ».