Chester Nez est mort. Cet indien navajo était le dernier "code talker"

Ce vétéran de la Seconde guerre mondiale était des 29 Navajos qui avaient mis en place pour les Marines américains un langage codé demeuré inviolé par l'armée japonaise


Chester Nez est mort à 93 ans, le 4 juin 2014. Mark Henle/AP/SIPA

MESSAGER. Chester Nez avait 93 ans. Il est mort d'une insuffisance rénale, le mercredi 4 juin 2014, à Albuquerque, dans l'État du Nouveau-Mexique. Avec lui, disparaît le dernier des "code talkers" : 29 Navajos que les Marines américains avaient recrutés en mai 1942 pour créer un code de communication indéchiffrables. Le cinéaste John Woo leur avait consacré un film en 2002, dont la bande-annonce est visible ci-dessous.

NATURELLE. Quel est le code secret le plus difficile à casser ? Celui qui repose sur une langue naturelle connue d'un très petit nombre, pensèrent en effet les militaires américains au cours de la Seconde guerre mondiale. Ils décidèrent donc d'utiliser la langue des Indiens navajos, comme l'avait révélé Sally McClain dans son livre "Bataille dans le Pacifique".


Concrètement, les marines traduisaient leurs message en navajo, codaient le message et l'expédiaient. Cette langue, linguistiquement très différente des autres langues indiennes, est très complexe et, surtout, à l'époque, n'avait jamais été écrite. Difficile de la comprendre dans ses condition !
Dès le début des hostilités, 400 Indiens navajos ont donc créé un alphabet et inventé un vocabulaire militaire adéquat qu'ils ont appris par coeur sans jamais l'écrire. Résultat, des messages secrets indéchiffrables (ce qui n'était pas le cas des messages allemands, reposant sur un système mathématique, que les Anglais réussirent à déchiffrer).

Un peu d'histoire

Philip Johnston, un ingénieur civil de Los Angeles, proposa l'utilisation du Navajo pour le Corps des Marines des États-Unis au début de la Seconde Guerre mondiale. Johnston, qui était un vétéran de la Première Guerre mondiale, grandit dans la réserve navajo du fait qu'il était le fils d'un missionnaire envoyé chez les Navajos. Il était l'un des rares non-Navajos qui parlaient leur langue couramment. Parce que le navajo a une grammaire complexe, il n'est que difficilement intelligible, même pour ceux qui comprennent des langues proches, de la famille Na-dene. De plus, le navajo était à l'époque une langue non écrite. Johnston s'aperçut que le navajo répondait à l'exigence militaire pour créer un code indéchiffrable. Le navajo est parlé uniquement sur les terres navajos du Sud-Ouest américain, de plus sa syntaxe et ses sonorités, sans parler de ses dialectes, sont inintelligibles à quiconque ne possédant pas une grande connaissance de cette langue. On estime que lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, moins de 30 non-Navajos pouvaient comprendre la langue.



Au début de 1942, Johnston eut un entretien avec le général Clayton B. Vogel et le général commandant le Corps amphibie de la flotte du Pacifique. Johnston organisa des tests dans des conditions de combat simulés qui démontrèrent que les Navajos pouvaient coder, transmettre et décoder un message de trois lignes en anglais en 20 secondes, contre 30 minutes pour les machines de l'époque. L'idée fut acceptée, Vogel recommanda que les Marines recrutent 200 Navajos. Les 29 premières recrues navajos incorporèrent le camp d'entraînement en mai 1942. Ce premier groupe créa ensuite le code navajo au camp Pendleton à Oceanside en Californie. Le code navajo fut officiellement développé et modélisé sur le même alphabet phonétique que celui de la marine et de l'armée américaine (le Joint Army/Navy Phonetic Alphabet), qui utilise des mots anglais entiers pour représenter des lettres (voir alphabet radio). Comme il fut constaté que dire lettre par lettre l'orthographe phonétique pour les termes militaires — en combat — mettait trop de temps, certains termes, concepts, tactiques et instruments de guerre ont eu des nomenclatures descriptives uniquement en navajo (le mot « pomme de terre » est utilisé pour se référer à une grenade à main, ou « tortue » à un char, par exemple). Plusieurs de ces mots-valises (comme gofasters, littéralement « va plus vite », se référant à des chaussures de course, « bâtons d'encre » pour stylos) sont entrés dans le vocabulaire du Corps des Marines et sont couramment utilisés aujourd'hui pour désigner les objets appropriés.

Un dictionnaire fut conçu pour enseigner les nombreux mots et concepts aux nouveaux initiés. Le texte était réservé pour le seul enseignement du code Navajo, et ne devait jamais être emporté sur le champ de bataille. « Ceux qui parlent le code » mémorisèrent toutes ces variations et pratiquaient l'utilisation rapide du code dans des conditions stressantes pendant la formation. Les non-initiés au navajo n'auraient eu aucune idée de ce que les messages de « ceux qui parlent le code » pouvaient signifier.


Les Navajos « qui parlent le codes » furent félicités pour leur rapidité, compétence et précision pendant toute la guerre. Lors de la bataille d'Iwo Jima, le major Howard Connor, officier de transmissions de la 5e division des Marines, eut six Code Talkers navajos qui se relayèrent sans interruption pendant les deux premiers jours de la bataille. Ces six hommes envoyèrent et reçurent plus de 800 messages sans faire d'erreurs. Connor déclara plus tard : « Sans les Navajos, les Marines n'auraient jamais pris Iwo Jima ».

Au fur et à mesure de la guerre, des mots de code furent ajoutés au programme. Dans d'autres cas, des mots de code raccourcis et non-officiels furent conçus pour une campagne donnée et ne furent pas utilisés au-delà de la zone d'opération. Afin d'assurer une utilisation cohérente de la terminologie du code tout au long de la guerre du Pacifique, des représentants des code talkers de chacune des divisions de marines américaines se réunirent à Hawaï pour discuter des lacunes du code, pour intégrer des nouveaux termes dans le système, et mettre à jour leurs dictionnaires. Ces représentants formèrent à leur tour d'autres code talkers qui ne pouvaient pas assister à la réunion. Par exemple, le mot navajo pour buse, jeeshóó, fut utilisé pour bombardier, tandis que le mot de code utilisé pour sous-marin, Loo Beesh, signifiait « poisson de fer » en navajo12.

L'utilisation de code talkers navajos se poursuivit pendant la guerre de Corée et même après, jusqu'au début de la guerre du Viêt Nam.


Propriétés cryptographiques

Le navajo était un choix intéressant pour l'utilisation d'un code parce que peu de gens en dehors de la réserve Navajo avaient appris à parler cette langue. Pratiquement aucun livre en navajo n'avait été publié. En dehors de la langue elle-même, le code parlé en navajo n'était pas très complexe pour les normes cryptographiques et aurait probablement été décrypté si un locuteur natif et des cryptographes entraînés avaient travaillé ensemble de manière efficace. Les Japonais eurent l'occasion d'essayer quand ils capturèrent Joe Kieyoomia dans les Philippines en 1942 lors de la marche de la mort de Bataan. Kieyoomia, un sergent navajo de l'armée américaine, mais qui n'était pas un code talker, fut obligé d'interpréter les messages radios par la suite durant la guerre. Cependant, comme Kieyoomia n'avait pas participé à la formation pour utiliser le code, les messages n'avaient pas de sens pour lui. Quand il dit qu'il ne pouvait pas comprendre les messages, ses ravisseurs le torturèrent. Compte tenu de la simplicité du code de l'alphabet en cause, il est probable que le code aurait pu être cassé facilement si les connaissances de Kieyoomia de la langue navajo avaient été exploités plus efficacement par des cryptographes japonais. L'armée impériale japonaise et la marine n'ont jamais réussi à décrypter le code.
Je suppose que les Navajos devait sauvé plusieurs morts américaines durant la seconde guerre mondial grâce à leur langue maternelle.

Source: OL, à partir d'un article publié dans Sciences et Avenir de décembre 1995

- Wikipedia
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