Napeiak


porc-epicLe soir venu Napeiak glisse en traîneau, il cherche les arbres mangés par les porcs-épics.  On ne voit de lui que son dos courbé, car il cherche les arbres que les porcs-épics ont mangés.
Le voilà qui repart avec son traîneau, il passe son temps à chercher les traces des porcs-épics.  Le soir venu, il cherche encore et encore.  On ne voit de lui que son dos courbé.
Puis il part une nouvelle fois.  Le soir quand il cherche les porcs-épics on doit voir toute la courbe que fait son dos.  Arrivé presque en haut d’une côte, il s’exclame :
̶      Qu’est-ce que c’est que ça ?  Il n’y a que des bouleaux sur l’autre rive, ce doit être un foutu bon endroit !  Rentrons maintenant, nous reviendrons demain.
Et il rentre effectivement.  Il raconte aux autres :
̶      J’ai vu un très bon emplacement sur l’autre rive, les porcs-épics doivent y être bien gras.  Il y a des bouleaux sur cette montagne, de jeunes bouleaux.  Nous irons là-bas en traîneau.
Le lendemain, il part en traîneau.  Arrivé à mi-chemin, il campe encore.  Puis il descend la côte.  Tiens, comment se fait-il que la rivière ne soit pas gelée ?  Elle est large.  À l’endroit où il se trouve, elle coule entre deux collines.
̶      C’est ici que nous traverserons, annonce-t-il.
De part et d’autre de la rivière, les épinettes poussent si près de l’eau qu’elles la touchent presque.  Il s’avance dans la rivière et, lorsqu’il peut saisir les épinettes sur l’autre rive avec sa ceinture, il les attache à celles qui poussent de ce côté-ci de la rivière.  Puis il achève sa traversée.  Quand il arrive sur l’autre berge, il voit de loin les bouleaux sur la montagne.
traineau
Après son repas, il retourne en canot vers la montagne pour y couper du bouleau.  On voit bien toute la courbe que fait son dos.  Ensuite il traverse la rivière dans l’autre sens et il rentre au campement.
̶      Maudit, dit-il aux vieilles femmes, ils sont très gras là-bas.  Partons, nous camperons en cours de route.  Nous partirons cette nuit, naturellement.  Il fera jour quand nous arriverons.
Et les voilà qui partent de nuit.  Les vieilles femmes seules ne sont pas du voyage.  Il leur a dit :
̶      Vous partirez demain, vous et les petits porcs-épics.
Arrivé à la rivière, il monte sur une épinette.  Naturellement, il marche derrière les autres qui traversent la rivière sur le pont d’épinettes.
̶      Allez-y, tenez-vous bien quand je détacherai les arbres, leur dit-il.
Quand il desserre sa ceinture, il regarde en bas et de l’autre côté de la rivière.
̶      Et nos mères alors…?  demandent les porcs-épics.
̶      Oh ! je les ai oubliées, dit-il.  Mais pourquoi y aurait-il des porcs-épics sur un côté de la rivière seulement ?  Il y en aura de chaque côté.
Il monte et descend sur les épinettes.  Ce n’est qu’après qu’il se décide à manger.
Le lendemain matin, il part en logeant la rivière.  Puis il revient par le même chemin avec les petits porcs-épics.  Quand il arrive à la colline, les épinettes sont déjà très éloignées les unes des autres.  Il se met à pleurer.  C’est à ce moment-là qu’il se décourage :
Il ne manquait plus que cela…  Puisque c’est ainsi, dit-il à ses petits enfants, vous vous tiendrez un peu partout.  Quand on verra les feuilles sortir un peu de la neige, vous vous tiendrez près des rivières où poussent les aulnes.  Quand ce sera vraiment le printemps, quand on recommencera à voir la terre, vous irez au bord des rivières.  Et là, très rapidement, on verra apparaître l’herbe, très vite ce sera l’été.  C’est à ces endroits que vous irez, leur dit-il, car autrement l’Indien de l’avenir vous décimerait.  Et les porcs-épics mâles en feront autant de l’autre côté de la rivière.  Voilà, c’est tout, dit-il à ses semblables.  Maintenant, dispersons-nous car en croissant l’homme de l’avenir pourrait nous décimer.  Il chassera le porc-épic, il en tuera un de temps à autre, tandis qu’actuellement il pourrait nous tuer tous.  Il nous aurait déjà décimés (s’il était là).  C’est pourquoi, quand la neige commencera à fondre, vous irez au bord des rivières; c’est là que vous chercherez votre nourriture.  Et puis l’automne venu, vous retournerez sur les montagnes, vous vivrez sur les hauteurs.  Et vous, dit-il aux porcs-épics enceintes, vous resterez sur ces hauteurs tandis que nous, les mâles, nous irons sur les rochers de part et d’autre des rivières.  Nous nous tiendrons aux endroits où nous pourrons commérer par l’intermédiaire du vent.  C’est grâce à lui que nous communiquerons, leur dit-il.  Au printemps, on descendra les côtes quand elles seront sèches, on se tiendra au bord des petites rivières, puis l’automne venu, mâles et femelles, on se cherchera de nouveau et on se chamaillera.
Par Pierre CourtoisEnregistré par Agnès UapistanTranscrit par Pipin BaconTirée du livre ATANUTSHE, NIMUSHUM édité par Pipin Bacon et Sylvie Vincent