La stratégie de l'indicator

alt=Description de cette image, également commentée ci-aprèsSévissant principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est,  indicator est un oiseau esclavagiste dont les êtres humains constituent la main-d’œuvre préférée. Mais il lui a fallu beaucoup de temps pour les apprivoiser, pour se faire obéir de ces bipèdes pas très futés qui ne comprenaient pas le bénéfice qu’ils pouvaient tirerde leur association.

Au départ, cet oiseau était considéré comme nuisible. Les hommes le caillassaient. Surtout les prêtres, parce qu’il dérobait les cierges dans les églises. En effet, ce petit volatile noir insignifiant (quinze centimètres de long, plumage terne et bec court, pondant ses œufs dans le nid des autres espèces à la manière des coucous) a une propriété rarissime. Grâce à une bactérie de son estomac, il digère la cire dont il fait son ordinaire. Mais il raffole encore plus des larves d’abeille.

Problème : il lui est impossible d’aller piller les ruches, la moindre piqûre lui étant fatale. C’est ainsi qu’il a eu l’idée de se servir de l’homme.

Quand il repère une ruche sauvage dans la forêt ou la steppe, l’indicator fonce vers un associé potentiel, et se livre alors à un véritable harcèlement. Loopings, chant lancinant, contorsions évoquant la danse du ventre. Lorsqu’il a réussi àcapter son attention, il lui fait littéralement signe de le suivre, voletant dans une direction précise, revenant le chercher, lui montrant le chemin, le becquetant quand il traîne. Le but est de l’emmener jusqu’à la ruche convoitée. Alors, tandis que l’homme enfume les abeilles pour les éloigner et s’emparer du miel, l’indic à plumes s’attaque aux gâteaux de cire et picore les larves à l’intérieur des alvéoles. Chacun des partenaires y trouve son compte. Au Kenya, la tribu des Boran partage carrément son territoire avec cet éclaireur divinisé, qu’elle appelle quand elle a besoin de miel. Elle imite son chant, et on assiste alors entre eux à un véritable dialogue musical

Ce qui pose problème, dans ce bel exemple de mutualisme, c’est que le comportement invariable d’Indicator
indicator envers l’être humain ne relève pas de l’acquis.

Rappelons que cet oiseau n’est pas élevé par ses parents, qui le pondent dans le nid d’autres espèces, dont il n’adoptera jamais les habitudes alimentaires par imitation. Véritable casse-tête pour les ornithologues, qui sont bel et bien confrontés à un  « comportement inné qui prévoit l’avenir », pour reprendre la formule de Rémy Chauvin. C’est un fait : dès que l’oisillon informateur est en âge de voler, il fonce à la recherche d’un
allié contre les abeilles.

Quand il ne trouve pas d’humains disponibles, il s’adresse au ratel, un petit carnivore teigneux à la peau si dure qu’il estinsensible aux piqûres d’hyménoptères associé alimentaire, lui aussi. Ses griffes acérées lui permettent d’ouvrir les ruches sans peine, et il ne s’intéresse qu’au miel. Mais il ne dispose pas d’enfumoir pour éviter à son partenaire volant de se faire piquer. D’où la supériorité de l’homme sur le ratel.

Hélas, on le sait, l’homme est feignant. Il fait la sieste, il fait l’amour, il fait la guerre, il n’a pas toujours envie de miel. Et quand la ruche débusquée par son indic est trop haute dans un arbre, il déclare forfait. Alors, parfois, l’oiseau perd patience. Quand son chasseur de miel lui refuse plusieurs butins de suite, et qu’il n’en a pas repéré de plus accessible dans le périmètre, il conduit son esclave indocile jusqu’à un crocodile ou une lionne affamée. Et il revient, deux jours plus tard, boulotter les asticots dans ce qu’il reste du cadavre

Cette manière assez anthropomorphique de rompre le contrat de confiance, lorsque l’associé n’est pas à la hauteur, n’empêche pas les pygmées Baka, grands chasseurs de miel du  Cameroun, de vénérer l’oiseau indicateur comportement normal d’un dieu vivant réclamant, de temps en temps, un sacrifice humain. Si le pygmée est évangélisé, il allumera un cierge pour diriger ses prières vers l’oiseau. Et il l’éteindra avant de le lui offrir comme amuse-bec. Ainsi les indicatoridés demeurent-ils une espèce en voie d’expansion. Leur seul problème est le syndrome d’effondrement des colonies qui, sur toute la planète, diminue à une cadence effrayante le nombre des abeilles. Nul ne songerait, en l’occurrence, à imputer un tel génocide aux
oiseaux friands de leurs larves – hormis les véritables coupables, ces fabricants d’insecticides toujours prompts à  transformer leurs victimes en suspects.

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