massacre des chiens esquimaux


Marco Fortier - Journal de Montréal - 19/01/2005 07h38 

Des milliers de bêtes abattues à bout portant dans le Nord sous les yeux des autochtones entre 1950 et 1970.

Les Inuits du Nord québécois réclament des excuses et une compensation des gouvernements pour le «massacre» de milliers de chiens huskies, jugés essentiels au mode de vie autochtone, par des policiers et des fonctionnaires blancs de 1950 à 1970.

Cette page d’histoire peu connue — et pourtant bien documentée — a complètement bouleversé les Inuits, plaide la Société Makivik dans un document envoyé aux gouvernements du Québec et du Canada.

La quasi-disparition des chiens de traîneau en si peu de temps a brutalement mis fin au mode de vie nomade des Inuits, plaide Makivik dans le rapport de 24 pages, daté de janvier 2005 et obtenu par Le Journal de Montréal.

Film

«Le cœur même de la vie inuite a été détruit par le massacre», affirme Pita Aatami, président de la Société Makivik, dans un film qui sera lancé aujourd’hui à Kuujjuaq, dans le Nord québécois.

L’Écho du dernier cri, financé par Makivik et réalisé par Guy Fradette, raconte en 54 minutes cette histoire tragique pour les 10 000 Inuits du Nord québécois. Nous avons pu le visionner hier en format vidéo.

À bout portant

Des dizaines d’Inuits témoignent d’un scénario qui s’est répété sur une vingtaine d’années à la grandeur du Nunavik: des policiers, des fonctionnaires ou des représentants de compagnies débarquent dans un village. Ils demandent aux autochtones de regrouper les chiens. Et abattent toutes les bêtes à bout portant.

Sans avertissement. Sans consultation. Sans explications. Sans excuses. Et sans aucune compensation financière.

Raisons

Les gouvernements du Canada et du Québec voulaient mettre fin à la présumée surpopulation de chiens dans le Nord, selon des recherches citées par la Société Makivik.

À l’époque, les famines guettaient le Nord. Les huskies menaçaient l’approvisionnement en nourriture des Inuits, selon les gouvernements.

Bêtes enragées

Les fonctionnaires d’Ottawa et de Québec plaidaient aussi que les chiens attaquaient les enfants. Les bêtes souffraient souvent de la rage. La vaccination coûtait cher.

Les Inuits ont toujours laissé les chiens libres. Mais les fonctionnaires, les policiers et les commerçants de race blanche, qui se faisaient de plus en plus nombreux dans le Nord, réclamaient que les bêtes soient tenues en laisse.

C’est pourquoi l’abattage massif des bêtes a eu lieu. Un demi-siècle plus tard, le souvenir reste douloureux.

Le chien de traîneau était le meilleur ami de l’Inuit

Les chiens de traîneau, abattus massivement par les autorités à partir des années 1950, étaient à la base même de la survie des Inuits, plaide la Société Makivik.

«Les chiens étaient le seul moyen de transport», raconte Quitsaq Tarqriasuk dans le film L’Écho du dernier cri.

Il n’y avait ni routes, ni motoneiges dans le Grand Nord à l’époque. Les «Esquimaux», comme on les appelait, dépendaient des chiens pour se déplacer, chasser, pêcher. Et aller vendre leurs prises à la Compagnie de la Baie d’Hudson.

En débarquant dans le Nord pour abattre les chiens, les policiers détruisaient littéralement le pilier de la culture inuite, selon la Société Makivik, qui regroupe des élus des 15 communautés du Nunavik.

Des héros

Loin de représenter un danger, les huskies étaient de «vrais héros», selon les Inuits. Les chiens repéraient les phoques à travers la glace. Ils trouvaient leur chemin dans les pires tempêtes. Leur fourrure fait de bons manteaux. Et on peut les manger en cas de famine.

Traumatisés par le massacre des huskies, les Inuits n’ont jamais riposté, paralysés par la peur et le respect que leur inspiraient les Blancs. «J’étais terrorisé», affirme Eli Qumaaluk dans L’Écho du dernier cri.

Ironiquement, des communautés inuites organisent à leur tour des «jours d’abattage» pour éliminer les chiens errants. Mais ce sont eux qui décident quelles bêtes tuer, de quelle façon et à quel
moment.